Le 4 avril 2022, c'est le 62ème anniversaire de l'indépendance du Sénégal. Un moment de bilan, dans une période faste marquée par un Prix Goncourt, le 3 novembre 2021, celui de Mohamed M’Bougar SARR, une première victoire à la Coupe africaine des Nations le 6 février 2022, mais aussi la qualification à la coupe du monde au Qatar, du 21 novembre au 18 décembre 2022, ainsi que l’inauguration du nouveau train express régional, le 27 décembre 2021, un beau projet de mobilité, respectueux de l’environnement, avec ses 100 000 voyageurs, permettant de désengorger Dakar, la capitale. En février 2022, le président Macky SALL assure la présidence de l’Union africaine. Une exposition sur Pablo PICASSO et l'art africain est organisée, à Dakar, du 1er avril au 30 juin 2022.
Le 4 avril, la Saint Jour ou la Saint Isidore, est une grande fête à Washington. Je rappelle aussi, pour l'Afrique et ses diasporas, que le 4 avril est une de tragédie sans nom. C'est le 4 avril 1968 que Martin Luther KING, un apôtre de la paix et militant des droits civiques, a été assassiné à Memphis, par James EARL. C'est le 4 avril 1807 que le premier Almamy du Fouta-Toro, après la révolution de 1776, Abdel Kader KANE a été assassiné.
Une réunion du bureau de l'ANEDAS (Association nationale des élus des diasporas subsahariennes) s’est tenue, ce samedi 19 mars 2022, à l'hôtel de ville de Paris. La diaspora, c’est également l’Afrique qui se prolonge hors de son territoire. Aussi, une conférence a été organisée par l'AMECAS (Amicale des étudiants caraïbéens, africains et sympathisants), à la Sorbonne, au 12 Place du Panthéon à Paris, sur le thème : «Quel bilan des 62 années d'indépendance du Sénégal ?».
Le Sénégal, en matière de démocratie, contrairement à ses voisins (Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Mali de Modibo KEITA) a toujours oscillé entre prudence et audace, mais en avançant dans le bon sens.
Les Sénégalais votent depuis 1802, et avaient, pendant la colonisation, un député à l'assemblée nationale. Bien avant cela, et sous la dynastie des Satigui instaurée par Coly Tenguella BA, entre 1512 et 1776, le roi du Fouta-Toro était désigné au suffrage indirect, par le «Diagordo», une assemblée de notables. Sous la Révolution des Torodos instaurée par Thierno Sileymane BAL, de 1776 à 1890, les Almamy, des clercs religieux et gouvernants du Fouta-Toro, étaient révocables, à tout moment, si un enrichissement illicite était constaté. Une charte des droits de l’Homme protégeant les faibles (femmes, enfants, veuves) a été érigée.
La première grande secousse est le 10 mai 1914 avec l'élection du Blaise DIAGNE (1872-1934) à l'assemblée nationale française. De grands intellectuels, comme Lamine SENGHOR (1889-1927) ont fustigé le colonialisme et déploré le sort réservé aux Tirailleurs sénégalais. Ce qui posait, pour la première fois, la question de la citoyenneté pleine et entière et donc l'indépendance. Cheikh Anta DIOP est le premier à avoir osé poser la question de l’indépendance.
Arrivé au pouvoir en 1981, par effraction, le président Abdou DIOUF, tout en restant, comme son mentor, un grand défenseur de la Françafrique, s’est révélé être un grand démocrate, en instaurant un multipartisme illimité et une presse libre, un des socles de la démocratie. Pendant 40 ans, le Sénégal est resté une démocratie sans alternance. Abdou DIOUF, en reconnaissant la victoire de Abdoulaye WADE en 2000, la première grande alternance au Sénégal, a consolidé la démocratie sénégalaise.
Cependant, aux éloges des Socialistes succèdent les critiques. En pleine Guerre froide SENGHOR et son successeur, Abdou DIOUF ont fait du Sénégal d'abord un parti unique de fait. Cela n'a été possible qu'avec la complicité des Mourides qui donneront, par la suite le «Ndigueul», une consigne de vote pour Abdou DIOUF. Les partis politiques peu compatibles, comme le Parti Africain de l'indépendance, ont été interdits. Une répression s'est abattue, en 1962, sur Mamadou DIA (1910-2009) et ses amis et le poste de premier ministre supprimé. Un multipartisme limité et contrôlé sera instauré en 1974. Pendant que SENGHOR parle de culture, comme son successeur Abdou DIOUF, sans aucun projet économique ou agricole d’envergure, c'est 40 années d'indolence. Le Parti socialiste, longtemps sous Mamadou DIA en phase avec le monde paysan, a retrouvé ses vieux démons et s’est fracturé dans une guerre de succession ; ce grand parti, jadis uni et structuré, a entamé maintenant, comme son cousin français, un lent et profond déclin.
Maître Abdoulaye WADE, troisième président du Sénégal de 2000 à 2012, un économiste et un «Pape du Sopi», a commencé, avec son premier ministre Macky SALL, de grands travaux au Sénégal, des infrastructures et le Musée de la Renaissance. Cependant, sous maître Abdoulaye WADE l'argent facile a coulé à flot. Mouride revendiqué, il s'est prosterné devant les marabouts de Touba. Il a désacralisé l'Etat avec de nombreux groupements religieux, comme le sinistre Serigne Béthio THIOUNE (1938-2019), condamné aux travaux forcés pour le meurtre en 2012, de deux de ses disciples. Le projet monarchique et dynastique de maître Abdoulaye WADE, soupçon d’avoir commandité l’assassinat de maître Babacar SEYE, (1915-1993), vice-président du Conseil constitutionnel, s'est révélé un désastre pour son parti le P.D.S, pour lui et son fils, Karim Meïssa WADE, «Ministre du ciel et de la terre», ayant détourné plus de 6 milliards d'euros.
Le président Macky SALL, quatrième président du Sénégal depuis le 6 avril 2012, né après l'indépendance, un ingénieur agronome, et ayant le sens de l'histoire, est un Pharaon des temps modernes. En moins de 10 ans, la physionomie du Sénégal, longtemps plongé dans un immobilisme depuis 40 ans, a considérablement changé. Le président SENGHOR parlait, jadis, du «Sénégal de l'an 2000», et le président Macky SALL a subitement basculer le pays dans la modernité, dans le 3ème millénaire. Le Sénégal est devenu un pays Emergent. Le président Macky SALL a entrepris diverses réformes de modernisation des institutions du Sénégal, comme le Code électoral et la réforme constitutionnelle du 20 mars 2020, dont la limitation du mandat présidentiel, que l'opposition avait farouchement combattue, maintenant devenue la référence incontournable.
Un constat quasi unanime peut être formulé, plus que jamais le Sénégal est une démocratie apaisée. Il existe, certes, un débat passionné, contradictoire et parfois violent. Aussi bien pour les présidentielles du 24 février 2019, gagnées au 1er tour par le président Macky SALL, que les municipales du 23 janvier 2022, avec des alternances dans des villes déjà détenues par l'opposition, les résultats ont été acceptés par tous. L’opposition, en accord avec elle-même, se croyant déjà victorieuse en 2024, veut caporaliser le débat politique, en imposant son point de vue au président Macky SALL : Pas plus de deux mandats. Oui, mais à partir de quand ?
Tous les juristes, dès la première année de droit, connaissent le principe de non-rétroactivité des lois. Le mandat en cours, lors de la réforme constitutionnelle, n’était donc pas concerné. Je le redis ici, sereinement, calmement, mais fermement, l'opposition défendant les détourneurs, en masse, de deniers publics, les partisans de salons de massage, voire un maire criminel taulard ayant déjà été condamné par la justice pour avoir un homme tué de 17 balles, ne peuvent légalement interdire au président Macky SALL de se présenter aux présidentielles de 2024. Seul le Conseil Constitutionnel peut invalider les candidatures à la présidentielle. Et seul le peuple Sénégalais est souverain ; c'est à lui de démettre ou réélire un président.
«Le Sénégal, un Grand petit pays» en référence au titre de mon ouvrage, est une démocratie solide ; c'est son peuple qui décide, et lui seul. Point d'injonction au chef de l'Etat, ni d'auto-proclamation d'une victoire hypothétique en 2024 alors que la bataille n'a pas eu lieu ! Ce sera programme contre programme. Pour l'instant je n'entends que ce slogan : «ôte toi de là que je m'y mette !». C'est un peu court comme projet alternatif sérieux.
Par conséquent, le Sénégal n'étant pas un gigantesque salon de massage, bien des questions majeures de notre temps devraient trouver, non pas par des incantations puériles, mais des réponses solides et concrètes :
- la place de sa jeunesse ;
- l'agriculture vivrière et un modèle de consommation adapté et sain ;
- Le rapport entre la ville et la campagne ;
- la défense de l'environnement devant la désertification les énergies renouvelables comme le solaire, la terre et l'eau ;
- le début d’industrialisation ;
- la place de la religion et de l'argent ;
- Le panafricanisme et la souveraineté sur les matières premières.
Pour l’instant, certains charlatans de la politique sont encore dans les lamentations puériles contre le colonialisme, le néocolonialisme et la Françafrique, dont d’ailleurs n’en veut en Afrique. Nous sommes tous d’accord pour un Sénégal souverain, panafricain, prospère, uni et harmonieux. Ce diagnostic, connu de tous, est largement partagé entre l’opposition et la majorité. La question fondamentale reste, une fois l’avoir dit comment on faire pour bouger les lignes ?
Force est de constater 62 ans après les indépendances, c’est l’impuissance qui domine. «Qu’est-ce qui cloche ?» s’interrogeait l’artiste Manu DIBANGO (1933-2020). Il faut construire, au lieu de démolir. Tel est son message contre la servitude et l’esclavage. Le Sénégal dans son histoire a rejeté les ruptures brutales ; ce sont des avancées lentes, prudentes, marquées parfois des audaces. «Peu importe qu'un chat soit noir ou blanc, s'il attrape la souris, c'est un bon chat» disait en 1962, DENG Xia Ping (1904-1997). L’une des contributions majeures du président Macky SALL, un admirateur de Charles GAULLE (1890-1970), un nationaliste, Léopold SENGHOR, un artiste de la politique et MAO Zedong (1893-1977), un pragmatique, sans rompre avec l’ancien colonisateur, est d’avoir diversifié les relations internationales du Sénégal (Chine, Turquie, Maroc), brisant ainsi cette logique du pré-carré français, celle de Léopold SENGHOR et Abdou DIOUF.
Références bibliographiques
BORREL (Thomas), AMZAT (Boukari-Yabara), COLOMBAT (Benoît), DELTOMBE (Benoît), L’empire qui ne veut pas mourir : une histoire de la Françafrique, Paris, Seuil, 2021, 1008 pages ;
BA (Amadou, Bal), Le Sénégal, un Grand petit pays, Paris, éditions Arsinoé, 2021, 620 pages.
Paris, le 19 mars 2022, par Amadou Bal BA - http://baamadou.over-blog.fr/