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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 22:07

«Marie N’DIAYE, une Sénégauloise, l’inclassable Prix Femina et Prix Goncourt, dans sa radicalité littéraire entre étrangeté, réalisme et fantastique» par Amadou Bal BA -

Prix Femina, en 2001, pour son roman «Rosie Carpe», un prix fondé en 1904 par des collaboratrices de la «Vie heureuse», Marie N’DIAYE fuit la lumière. «Heureuse récipiendaire du prix Fémina, Marie Ndiaye est sereine. Son discours de réception laisse seulement percer le regret de ne pas avoir pu partager avec Jérôme Lindon, récemment décédé, qui dirigeait les éditions de Minuit, la joie d’avoir été désignée pour l’attribution de cette distinction. Marie Ndiaye est aussi discrète. L’écriture de son œuvre, qui compte à ce jour huit romans, ne s’accompagne pas d’une intense présence sur la scène publique et médiatique», écrit Véronique BONNET, dans Africultures. Prix Goncourt, en 2009, pour «Trois femmes puissantes», d’une beauté hiératique, l’écrivaine la plus douée de sa génération, la Sénégauloise Marie N’DIAYE s'impose comme l'une des voix les plus puissantes et les plus originales de la littérature française contemporaine. «N’Diaye est la première femme lauréate du Goncourt. Nous avons récompensé une œuvre, un univers littéraire, une belle écriture et une exigence. Marie Ndiaye est le parfait exemple d'un métissage réussi, avec un père sénégalais et une mère beauceronne, cela donne d'excellents écrivains. Ce prix Goncourt aura aussi mis fin à un tabou», dit Tahar BEN JELLOUN, membre du jury. En 2009, et en sept cents ans d’existence, le Goncourt n’avait récompensé que dix femmes, dont notre Marie N’DIAYE. «Ce fut un score net et sans appel. Seuls huit jurés sur dix ont voté. Les débats ont été vifs et animés avant le scrutin et la surprise est venue de ce résultat si net. Ce prix Goncourt aura aussi mis fin à un tabou. Pour la première fois depuis 1904, une lauréate du prix Femina, Marie N’Diaye l'avait reçu en 2001 pour «Rosie Carpe», se voit attribuer le prix Goncourt. Ce qui ouvre des horizons», écrit Alain BEUVE-MERRY. En effet, Marie N’DIAYE a remporté, en 2009, le Goncourt à l’unanimité. «Ce choix très littéraire. Marie NDiaye a une forme d'écriture qui n'appartient qu'à elle. Nous avons récompensé une œuvre, un univers littéraire, une belle écriture et une exigence», dit Françoise CHANDERNAGOR. Cependant, il est curieux de constater, en raison de la radicalité et de l’originalité de sa contribution littéraire, Marie N’DIAYE est largement invisibilisée. En effet, quand on évoque, le Prix Goncourt, ce qui vient à l’esprit, ce sont les noms de René MARAN (Voir mon article, Médiapart, 14 décembre 2021) et Mohamed M’Bougar SARR (Voir mes articles, Médiapart, 28 octobre 2021, pour le Prix et sa réception, 7 novembre 2021).

Comment écrire et conserver un succès littéraire dans un pays à majorité blanche et dans lequel les racisés ne sont pas des soutiens  à la vente des livres ? La société française étant dans le déni de son passé colonial, vautrée dans la certitude et l’infaillibilité de son universalisme, Marie N’DIAYE a choisi d’enjamber et de dépasser ces questions raciales et de pouvoir, du moins elle les a traitées à sa façon ; ni Noire, ni métisse, Marie N’DIAYE, pratiquant des «dérapages contrôlés» suivant Dominique RABATE, a décidé de n’habiter qu’en littérature ; elle n’a pas de couleur, elle est une femme qui écrit : «Si Marie NDiaye s’intéresse, même discrètement, aux questions sociales et raciales au sein de son œuvre romanesque, elle cherche aussi indéniablement à les dépasser. La question identitaire nous conduit ainsi bien au-delà d’une quelconque interrogation d’ordre social et l’étrangeté permet in fine un questionnement sur l’individu, sur son rapport aux autres et à lui-même. Les romans suggèrent dès lors la difficulté à se construire une identité authentique et libre. Tout le problème du rapport à autrui chez Marie NDiaye tient effectivement à une «transformation» des êtres. La conséquence directe de cette modification du rapport à l’autre est une modification du rapport à soi, tant altérité et identité sont liées et fonctionnent de concert. La «transformation» de soi est signifiée physiquement. Dans ces conditions, c’est bien en romancière, au sens large du terme, que Marie NDiaye questionne identité et altérité de l’être, rapport à soi et rapport aux autres c’est par le recours à la stratégie esthétique de l’étrange, qui contourne et remplace toute nomination directe, toute mention explicite, que la romancière évite une lecture exclusivement sociale ou raciale pour en proposer une qui soit plus universalisme», dit Clarissa BEHAR, dans «Écrire en pays à majorité blanche». En raison de cette crise profonde des valeurs républicaines, refusant d’entrer dans la marginalisation, aucune littérature n’est totalement indépendante et libre par rapport aux contraintes extérieures, notamment les lois du marché, Marie N’DIAYE, pour sa survie et son rayonnement, a développé une esthétique littéraire originale, par rapport  à l’ethnocentrisme dominant, une égalité républicaine de façade. «Marie NDiaye a appliqué une stratégie littéraire qui répondait parfaitement à l’exigence d’assimilation aux codes littéraires en vigueur tout en se frayant la voie à la consécration par le biais du bouleversement requis et nécessaire des codes esthétique. c’est la littérarisation de sujets dédaignés par les lettres françaises tels que l’altérisation, voire la minorisation comme techniques d’exclusion sociale quasi invisibles, une littérarisation qui consiste à aborder ces sujets à mots couverts et à travers le formalisme esthétique exalté par la tradition littéraire française postmoderne, qui explique le succès de la stratégie littéraire ndiayïenne à l’époque du républicanisme», écrit Sarah BURNAUTZKI dans «Le jeu de visibilité et d’invisibilité de la production de Marie N’Diaye, à la lumière de la crise du républicanisme». En fait, Marie N’DIAYE refuse ces tentatives malveillantes de renvoyer, systématiquement, certaines personnes racisées à leurs origines ethniques, pour mieux les marginaliser et les rendre donc inaudibles. «Aucune définition de ce que je suis censée être ne peut me venir à l'esprit. En revanche, j'entends de plus en plus d'injonctions de se définir (en tant que Noire ou métisse, métisse en France, etc.). Se définir, c'est se réduire, se résumer à des critères, et par le fait entériner ce que d'autres seraient ou ne seraient pas», dit-elle au Nouvel Observateur. Être écrivaine, c’est traverser les frontières ethniques, gravir la montagne raciale, pour atteindre tous les lecteurs du monde entier. «Écrire implique souvent qu'on oublie sa nationalité, son sexe, sa couleur de peau, son âge, qu'on devienne un être immatériel capable de pénétrer l'esprit de n'importe quel personnage», dit Marie N’DIAYE.

Le roman primé, triomphalement, «Trois femmes puissantes», a pour scène, le Sénégal. «Rarement un Prix Goncourt n’aura aussi peu souffert de contestation. Succès littéraire surprise de la rentrée littéraire, avec 140 000 exemplaires déjà vendus malgré la complexité de l’écriture, «Trois femmes puissantes» raconte, comme son titre l’indique, le destin de trois femmes, Norah, Fanta et Khady, qui luttent contre un destin contraire pour mieux épouser la vie. Deux des trois récits se déroulent au Sénégal, pays dont est originaire le père de la romancière», écrit Yannick VELY, dans Paris-Match. Et pourtant, Marie N’DIAYE se déclare, de par sa culture, exclusivement française. «À l'étranger, je ressens très fortement mon appartenance complète, amoureuse, à la culture française, aux paysages français. Je le ressens dans l'absence de la France, sans nostalgie, mais avec une sorte d'attendrissement au souvenir de tout ce que j'aime en France et qui m'a formé essentiellement. Je ne me sens ni cosmopolite, ni d'une double culture, je peux honnêtement déclaré que ce je j'écris est inspiré en partie par l'Afrique, mais il y aurait de ma part une fourberie, un odieux opportunisme à revendiquer comme mienne la culture africaine ; il me semble avoir atteint maintenant, en quelque sorte, la maturité nécessaire pour le déclarer sans embarras, sans crainte de trahir quoi que ce soit, de passer pour une Africaine “honteuse” : je suis exclusivement française», écrit Marie N’DIAYE, en 1997, dans sa préface, «Un voyage» d’un livre «Tombeau du cœur de François II».

La recherche littéraire n'a pas tardé à interroger les univers insolites de ses romans, de ses pièces de théâtre et de ses nouvelles qui semblent défier toute tentative de classification générique, «une poétique du flou» suivant Cornelia RUHE. Dans un verbe qui impressionne, une noblesse d'expression, un style à la limite de l'ampoulé, d’un niveau élevé, avec une certaine noirceur, les thèmes qui structurent la contribution littéraire de Marie N’DIAYE sont notamment, l’étrangeté, la famille, le motif de la maison, la migration, l’errance, les pouvoirs, la relation entre dominants et vaincus, les limites de la parole, l’éthique, la souffrance, l’espérance, l’hybridité, l’altérité, la solitude, la création, le jugement. «Depuis vingt-cinq ans, Marie NDiaye écrit des romans qui se tiennent à la frontière entre le réalisme et le fantastique. Des livres empreints d'inquiétante étrangeté, profonds, agissants, laconiques, envoûtants, tissés d'incertitude et de fantaisie grave, d'ironie et d'effroi, où le réel et le merveilleux s'interpénètrent», écrit Nathalie CROM, de Télérama. Dans sa radicalité, le réalisme de Marie N’DIAYE agit en correcteur des formes préétablies, qui suggèrent une cohérence que la réalité n'offre pas. Entre étrangeté et singularité, le lecteur perdant parfois ses repères, l'autrice refuse la parenté avec les canons traditionnels littéraires et renonce à s'intégrer dans une grande et heureuse «famille» littéraire. «Ni les genres littéraires, ni l’expectative du public, ni les lois du marché (littéraire) ne l’intéressent. Son parcours est tout à elle. Si l’on avait à caractériser l’œuvre de Marie NDiaye, la seule règle à laquelle elle se conforme est celle de la rupture délibérée avec les attentes, celle du refus de toute règle», écrivent Daniel BENGSCH et Cornelia RUHE. L’exceptionnelle qualité de l’expression écrite de Marie NDIAYE se caractérise par une limpidité et elle est souvent irriguée par des émotions profondément douloureuses ou indicibles. Ses femmes sont fragiles socialement, mais très fortes humainement. En effet, ses personnages évoluent dans un monde de trahisons et d’humiliations obscènement occasionnelles, dans un environnement de structures sociales et familiales, de cruauté, de complicité et de férocité. Les héroïnes et les héros de NDIAYE, remplis par un désespoir, ni victimes innocentes, ni principaux auteurs de complots ourdis, oscillant généralement entre des positions de faiblesse et de force relatives, aspirent pourtant à la quiétude et la normalité. Cependant les personnages de Marie N’DIAYE sont aptes à transmutations mentales, émotionnelles et physiques les plus fantastiques pour pouvoir changer d’univers.

Comme dans le monde de Franz KAFKA (Voir mon article, Médiapart, 17 mai 2024) qui l’a sans nul doute influencée, s’exprimant pas un style hermétique, difficile d’accès, par ellipses, le fantastique traverse la contribution littéraire de Marie N’DIAYE. En effet, Marie NDIAYE, atypique, n’appartient à aucune catégorie littéraire, et ne revendique aucune filiation, si ce n’est pour son goût de l’étrangeté ou la magie qui s’insinue dans ses ouvrages. «J'ai toujours voulu écrire une littérature qui se situe à la fois dans la trivialité de la vie et dans un au-delà, une dimension qui transcende cette trivialité de chaque jour. Et cette manière de surpasser la trivialité, je la trouve dans le merveilleux. Mais à présent, je me sens davantage capable de mêler une moindre dimension de merveilleux à la réalité très concrète, sans que cela m'apparaisse trop banal. Quand j'étais plus jeune, je craignais beaucoup la banalité. Aujourd'hui, je me sens capable d'écrire de manière plus simple. J'aime bien l'idée qu'un livre soit lisible à plusieurs niveaux, par toutes sortes de gens très différents. Lisible même au niveau le plus linéaire qui soit. Ce qui suppose qu'il y ait sur la langue un travail certes exigeant, mais pas rebutant», dit-elle à Télérama. Par conséquent, le merveilleux est donc bien présent dans sa contribution littéraire. «Sans doute. De toute façon, quand j'étais très jeune, j'aurais été incapable d'écrire de manière simple, parce que mes références, mes modèles étaient Proust et Henry James, et j'étais trop immature encore pour m'en dégager et trouver ma voix propre. De plus, j'avais vraiment peur de la simplicité. Alors qu'avec l'expérience cela me semble non seulement possible, mais même souhaitable. Et puis, je n'éprouve plus le besoin de montrer que je maîtrise la langue au point que je peux jouer avec elle de mille façons. Je me rends compte également que, même si c'était très dissimulé et inconscient de ma part, le recours à un certain genre de merveilleux me permettait parfois de me dépêtrer d'une situation romanesque dans laquelle j'étais emmêlée et dont je ne parvenais pas à me sortir. L'intervention du merveilleux était alors une aide, voire, je le mesure à présent, une facilité. Maintenant, j'essaie de m'aider aussi peu que possible du recours à la magie et de ne la faire intervenir que quand je le juge vraiment nécessaire. Je ne veux plus que ce soit une ficelle», dit-elle à Télérama.

Marie N’DIAYE est née le 4 juin 1967 in Pithiviers dans le Loiret. Sa mère, une Française, est Simone ROUSSEAU, professeure de Sciences naturelles. Son père, Tidiane N’DIAYE, est un Sénégalais ; le couple se sépare très tôt et le père rentre au Sénégal. Marie vivant dans la proche banlieue parisienne, qui passe ses vacances dans la Beauce, ne connaît très peu le Sénégal. «J'y ai fait un premier voyage relativement tard, vers l'âge de 20 ans, à la fin des années 80 donc, et un second il y a trois ans avec la cinéaste Claire Denis avec qui je collaborais à un scénario. C'est très peu. De ce fait, ma relation à l'Afrique est un peu rêvée, abstraite, au sens où l'Afrique, dans ma tête, est plus un songe qu'une réalité. En même temps, je suis attirée, incontestablement, mais de manière contradictoire, parce que j'aurais pu sans peine faire des voyages plus fréquents là-bas. Mais il y a peut-être de ma part une sorte de crainte, je ne sais pas précisément de quoi», dit-elle à Télérama. Marie va donc vivre avec sa mère et son grand frère, Pap N’DIAYE, un enseignant, un sociologue, Directeur du Musée de l’immigration, ministre de l’Éducation nationale et maintenant Ambassadeur de France à l’Union européenne. Durant son enfance, avec sa mère devenue seule, cet environnement familial, rare pour l’époque, fait inconsciemment de Marie très sociable une enfant différente, «décalée» qui lui donne l’envie d’écrire «Cette question est fatalement liée pour moi à l'enfance. Je me revois très bien (et c'est aussi précis et coloré dans mon souvenir que certaines scènes de films), petite fille, accoudée à la fenêtre ouverte de ma chambre un après-midi d'été et regardant aller et venir sur le parking les habitants de la cité de Fresnes où je vivais alors. Je sens encore l'odeur pas désagréable du goudron fondu au soleil, des pneus brûlants, et je ressens comme je le ressentais la ferveur particulière qui animait les voix, les gestes, parce que c'était l'été et qu'il faisait si chaud, toute cette gaieté un peu inquiète, nerveuse», dit-elle au Nouvel Observateur. Dès l’âge de 12 ans, Marie a déjà une grande ambition littéraire : «J'espérais qu'elle me sauve de la vie réelle et ordinaire qui me semblait terrifiante. Qu'elle fasse de moi quelqu'un de spécial, d'unique même. J'avais l'impression, enfant, d'être invisible. J'espérais, sans que cela soit conscient, que l'écriture me rendrait visible et me protégerait en même temps», dit-elle. Aussi, la jeune Marie se passionne rapidement pour la lecture, notamment de Marcel PROUST (1871-1922 voir mon article, Médiapart, 18 novembre 1922), Henry JAMES (1843-196) ou Joyce Carol OATES, née le 16 juin 1938, à Lockport (État de New York). Son œuvre qu’elle qualifie «de jeunesse» est cependant empreinte de longues phrases travaillées à l’envi, parfaites de classicisme. Ce style devient paroxystique, ces phrases difficiles et élitistes ont cependant été abandonnées : «Je craignais beaucoup la banalité. Aujourd’hui, je me sens capable d’écrire de manière plus simple», dit Marie N’DIAYE.

Marie a beaucoup écrit dans sa tendre enfance, sans jamais oser le publier : «Je n'ai jamais eu le désir d'être écrivain, je ne me suis jamais posé la question en ces termes. Ce que je voulais c'était écrire, faire des livres abondamment comme ceux que je lisais. Mais être écrivain avec ce que cela implique, être lue, être reconnue, ne m'a jamais traversé l'esprit», dit-elle à France Culture. Cependant, à l’âge de 17 ans, elle fait le grand saut, et envoie son manuscrit en 1985, à trois éditeurs. Jérôme LINDON, des éditions de Minuit, accepte de publier «Quant au riche avenir». L'écrivain Jean-Yves CENDREY, bouleversé par ce premier roman, racontant les souffrances d'un lycéen vivant une histoire d'amour impossible, écrit à Marie. Ils se rencontrent alors et ne se quittent plus. Le couple publiera ensemble, en 2007, une pièce de théâtre «Puzzle», chez Gallimard. Pendant ses études, Marie NDIAYE avait obtenu une bourse pour étudier à la villa Médicis, à Rome ; depuis, le couple ne cesse de déménager de Paris à La Rochelle, de la Normandie au Bordelais. Marie N’DIAYE et son mari, l'écrivain Jean-Yves CENDREY sont actuellement installés à Berlin. Le couple a trois enfants, Laurène, Silvère et Romanic, à qui sont dédiés, le roman, «Trois femmes puissantes», Prix Goncourt de 2009. «L'envie de partir était ancienne chez Jean-Yves et moi, et l'élément déclencheur a été certainement les dernières élections présidentielles. Nous n'avions plus du tout envie d'être là, dans cette France qui venait d'élire Sarkozy. J'ai vraiment l'impression maintenant que Berlin est devenue ma ville, c'est à elle que je pense lorsque je dis : rentrer à la maison, et de plus en plus à mesure que j'apprends la langue et que des pans entiers de connaissance se dévoilent peu à peu, à travers la lecture, encore difficile cependant, de la presse, des affiches, de toutes les phrases qu'on rencontre dans une ville. Je me sens profondément bien à Berlin», dit Marie N’DIAYE.

En définitive, Marie N’DIAYE a écrit des romans, des pièces de théâtre, des nouvelles, un scénario de film et un petit nombre de livres pour enfants. Les romans de Marie NDIAYE, où la recherche de l'autre et la quête identitaire tiennent une place prépondérante, sont marqués par un sens aigu du dérisoire. On a parfois tenté, au nom de son origine paternelle, de la rattacher au mouvement de la négritude, mais elle a toujours refusé toute appartenance aux littératures africaines. L'univers de Marie NDIAYE est représentatif de préoccupations contemporaines - l'altérité, la famille, le vieillissement. Outre l’étrangeté et le merveilleux, l'humour, forme suprême de la cruauté, est manié comme une distanciation.

I – Marie N’DIAYE et ses Trois femmes puissantes, prisme colonial et migration

«Trois femmes puissantes», Prix Goncourt de 2009, est trois récits distincts incarnés par trois femmes qui se redressent dans les situations les plus sombres. Chacune des femmes se bat pour préserver sa dignité contre les humiliations que la vie lui inflige avec une obstination méthodique et incompréhensible. C’est donc un roman fracturé, entravé, à l’image des vies qui y sont déployées, qui ont toutes connu une fracture béante, des corps genrés, mais aussi des blessures qui ne guérissent pas, comme l’incontinence urinaire de Norah «Une chaleur humide glissait sur ses cuisses, s’insinuait entre ses fesses et la chaise. Elle toucha vivement sa robe. Désespérée, elle essuya ses doigts mouillés sur sa serviette», écrit Marie N’DIAYE.

Le premier personnage, Norah, son père a déserté le foyer familial quand elle était enfant, en emmenant avec lui Sony, son fils âgé alors de cinq ans. Norah, censée avoir réussi dans la vie, devenue avocate à Paris, est mariée à Jakob, qui a une fille, Grete, un couple recomposé. Cependant, un jour, son père demande à Norah, de venir au Sénégal, «car j’ai à te parler de choses importantes et graves», dit-il à sa fille. Norah débarque à Dara Salam, au Sénégal, là où habite le père, devenu «un vieil oiseau épais, à la volée malhabile et aux fortes émanations», qui, la nuit, dort perché dans les branches d’un flamboyant. A Dara Salam, il a fondé un village de vacances. Sony, devenu un être lisse, introverti, coupé du monde et de ses réalités, est «un démon s’était assis sur le ventre du garçon et ne l’avait plus quitté». A Londres, Sony avait fait de brillantes études avant de tomber amoureux de sa jeune belle-mère et d’être accusé de l’avoir tué. Par conséquent, le père à Norah, lui demande de défendre son fils, Sony, devant les tribunaux ; il est accusé d’un meurtre. Par conséquent, à travers Norah, on découvre le devenir d’êtres brisés par l’explosion de leur univers familial. Les personnages flottent. Il n’y a rien chez eux de stable, sur le plan identitaire. L’histoire de Norah et de son père met en relief les complications dues au passé colonial qui lie le Sénégal à la France. La robe la fleur de Norah semble symboliquement représenter la description de la colonie faite par le colonisateur.

Le deuxième personnage est Fanta, une enseignante, mariée, il y a de cela quelques années, à Dakar, avec Rudy Descas un brillant professeur de lettres au lycée Jean Mermoz de Dakar. On découvre par la suite qu’à l’âge de son fils Djibril, Rudy aurait assisté à l’assassinat par son père Abel de son associé Salif, à Dar Salam, en lui roulant dessus avec un 4x4. Rudy, s’étant battu avec un de ses élèves, est révoqué de ses fonctions. Aussi, le couple quitte le Sénégal s’installer dans le Bordelais, avec leur fils, Djibril, âgé de sept ans. Rudy, vendeur de cuisinières, redoute «d’avoir enfermé Fanta dans une prison lugubre et froide», écrit Marie N’DIAYE. En raison de dissensions, le couple bat de l’aile, des dissensions affectives et des difficultés relationnelles au travail, des altercations. Dans ce monde clos, Rudy voue une haine larvée à Manille son employeur, ex-copain d’enfance et amant supposé de sa femme Fanta. Son esprit est en proie à une valse d’interrogations et de doutes. L’histoire de Rudy et de Fanta représente les difficultés entre colonisateur et colonisé, non plus sur la terre africaine, mais sur le sol européen. Le racisme et les positionnements hiérarchiques issus de la colonisation marquent la partie.

Le deuxième personnage, Khady Demba, une cousine de Fanta, une jeune femme de 25 ans, sans enfant, à la mort de son mari qui tenait un bar, dans un quartier populaire de la capitale, la Médina, sa belle-mère la chasse de la maison «lui donne une bourrade dans les reins. Prépare tes affaires». Devenue candidate à l’immigration pour conquérir «la forteresse» de l’Europe, Khady, à la première tentative, par la mer, peu rassurée par le passeur, se jette à l’eau et regagne le rivage. Khady décide alors de prendre un camion et entame la traversée du désert. Ses maigres ressources ayant volé, Khady se prostitue. Devenue un lambeau humain, devant la décomposition mentale et les humiliations, Khady n’a pas pour autant perdu sa fierté et sa dignité, et chante pour se donner du courage, «C’est ce que je suis, moi, Khady Demba !».  Un mécanisme de la décomposition mentale des humiliés, des vaincus. «L’histoire de Khady Demba surtout exemplifie une errance contemporaine migratoire bien réaliste, brutalement tragique, et c’est son histoire à elle qui, bien qu’elle soit la dernière, donne le ton, servant de clé de voûte à l’ensemble» écrit Andrew ASIBONG.

À son tour, elle élève sa fille sans soutien, avec rigueur et amour. Le récit commence quand elle revient dans son pays natal, en Afrique, à la demande de son père. Celui-ci, «implacable et terrible», a emporté son fils Sony alors âgé de 5 ans quand il est revenu en Afrique. Norah retrouve sa puissance face à un père autoritaire jusqu’à la tyrannie. Mais un père déchu. Elle se retrouve aussi vis-à-vis de son compagnon. Un homme faible, au comportement enfantin. Prendra-t-il soin de sa fille quand elle se retrouve en Afrique près de son père ? Fanta, la seconde «femme puissante», n’apparait pas dans le récit. Son contour se dessine «en creux», dans l’esprit de l’homme avec lequel elle vit. Un homme qui s’abîme dans sa propre histoire douloureuse. Qui l’a précipitée dans une régression personnelle, sociale, culturelle. Elle résiste dans ce couple qui tangue. Sa puissance ? C’est sa capacité à exercer son retrait. A se mettre hors d’atteinte du malheur qui anéantit son homme. A protéger ainsi leur fils, Djibril. Enfin, Khadi Demba est renvoyée de la famille de son mari après sa mort. Elle n’a pas «réussi» à avoir un enfant avec lui. Elle est chassée avec pour «mission» d’émigrer vers l’Europe, pour rejoindre Fanta, d’où elle devra envoyer de l’argent. Khady, reléguée au rang de domestique à la famille, confinée à la maison, qui a vécu cloitrée dans cette famille, sans existence pour les autres, se retrouve dans le monde, comme un escargot sans sa coquille. Mais elle découvre la force de son corps, sa puissance occultée et le plaisir d’apprendre pour comprendre le monde. Elle va subir les pires atrocités lors de sa traversée du Sahara. Pour se heurter à la barrière de fer, au rideau de fer, qui protège l’Europe.

L’histoire de Khady Demba, en proie à la souffrance sourde, à une blessure d’un double deuil, celui de son mari et celui de l’enfant qu’elle n’a pas pu concevoir, finalement, met, d’une part, le doigt sur les réalités de la migration entre les anciennes colonies et la France à l’échelle mondiale : l’abus économique et sexuel que rencontrent les migrants et la séparation de l’Europe et le reste du monde par un grillage. Bien qu’elle soit rejetée par sa belle-famille, réduite à la prostitution, malade, blessée et affamée, Khady montrant une conscience de soi à travers toute l’histoire, dans sa grande dignité, reste inaccessible au sentiment d’humiliation. D’autre part, les belles-sœurs de Khady a sont vêtues de jupes dont le tissu représente «des serpents se mordant la queue, gris sur fond jaune, et les gais visages féminins, bruns sur fond rouge, surmontant l’inscription Année de la Femme africaine serpents et visages multipliés par dizaine, monstrueusement écrasés là où le tissu plissait», écrit Marie N’DIAYE. Khady Demba, une force féminine paradoxale, incarne et dénie à la fois l’émancipation de la femme sénégalaise, à travers cette ronde des «mauvais esprits», mais cette sourde menace d’un pouvoir maléfique. Finalement, dans ce roman de l’errance et de l’ostracisme, un milieu familial hostile aux femmes réduites à la servitude et conscientes de leur déchéance, on savait déjà que Khady Demba sera expulsée de la maison, et finira par mourir. Le départ de Khady Demba, rejetant la honte, une force contaminatrice, face à un pouvoir déshumanisant, dans la recherche de son identité, de son autonomie et l’acceptation de soi, avec une certaine fierté «n’a rien à voir avec une recherche d’origines perdues et il ne s’agit nullement d’un retour vers elles. Marie NDiaye propose, dans tout ce qu’elle écrit, une interrogation éthique sur les problèmes de l’ouverture à l’autre, de l’hospitalité dans son sens le plus large et de l’empathie. L’histoire de Khady Demba est celle qui est la plus dense en oiseaux et en points de fusion entre oiseau et être humain. Ce premier contact avec l’oiseau semble donc représenter un éveil. La véritable puissance de Khady Demba, pourtant, est dans le rapport très particulier qui s’établit entre elle et le lecteur. C’est au lecteur d’entendre Khady Demba, de tenir compte de ses souffrances et de se poser la question suivante : dans les chaînes de responsabilité et d’interdépendance qui nous relient les uns aux autres, aux dépens de qui atteignons-nous notre confort ?», écrit Andrew ASIBONG.

II – Marie N’DIAYE et son roman Rosie Carpe

«Rosie Carpe», Prix Fémina 2001, relate l’histoire d’une femme en miettes. Une femme qui doute de sa propre existence, tant ses parents l’ont peu considérée comme être vivant, comme personne humaine. Une vie recluse sur une famille muette. Pas de contact avec l’extérieur. Pas de relations au sein de la «famille». La seule ouverture affective, c’est son frère, Lazare. Le roman s’ouvre sur une arrivée de l’héroïne et son fils Titi, jeune garçon maladif, débarquent en Guadeloupe où le frère de Rosie, Lazare, ne les attend pas. C’est un jeune homme antillais et noir, Lagrand, qui vient recueillir l’enfant et sa mère pour les conduire auprès des personnages de la famille Carpe, tous déjà installés dans l’univers insulaire. Cette scène n’est en fait que le deuxième départ. Le lieu de l’origine n’est pas Paris et sa banlieue, que quittent l’enfant et sa mère pour traverser les eaux, mais la petite ville de Brive-la-Gaillarde. Dans cette ville a longtemps résidé toute la famille Carpe avant que le noyau familial ne se décompose pour éclater en différents atomes qui poursuivent, tant bien que mal, leur errance en France métropolitaine et dans son prolongement administratif insulaire : la Guadeloupe.

La vie de Rosie Carpe commence à Brive-la-Gaillarde, entre son frère Lazare et ses deux parents Carpe qui sont encore, alors, dépourvus de toute espèce de fantaisie vénéneuse. Rosie conservera de Brive un souvenir confus et voilé de jaune, tandis que, pour son frère Lazare, le bonheur à Brive-la-Gaillarde gardera les couleurs d'un magnolia dont il est le seul à se rappeler la splendeur. Brive-la-Gaillarde, lieu de l’origine peu décrit, a néanmoins une charge symbolique très forte. Brive est une synecdoque qui renvoie, tout au long du texte, aux parents Carpe. Au-delà du lieu, Brive désigne le noyau familial de l’origine, littéralement «le ventre des Carpe». Périphrase et synecdoque se font ainsi écho. De ce ventre chaud et mou qui a toutes les caractéristiques du noyau ethnique chaleureux et clos vont devoir s’extirper les deux enfants Carpe.

À l’instar de nombreux personnages du roman français du XIXème siècle, Rosie et Lazare «montent» à Paris en quête d’une hypothétique réussite. La réussite escomptée, dans cette France de la fin du vingtième siècle, est ici universitaire. L’identité tribale, celle héritée de Brive, bloque assurément tout processus d’insertion dans la bonne société parisienne. Rosie et son frère quittent Brive-la-Gaillarde pour venir à Paris faire des études. Elle rate sa première année, et son frère disparait. Les parents coupent alors les vivres. Elle a 20 ans. Rosie se retrouve seule. Elle cherche du travail et devient cuisinière dans un hôtel triste à la Croix de Berny. Un nœud routier qui relie en croix Sud et Nord, Est et Ouest dans la banlieue Sud de Paris. Bruyant, sale, morne, impersonnel. Max, le sous-gérant de l’hôtel, met la main sur elle, dès le début. Elle n’aime pas cet homme, mais au moins, Max lui a donné l’impression qu’elle existe. Une étrange relation se noue entre Rosie et le sous-gérant, marié par ailleurs. Bienveillant et distant à la fois. Celui-ci monte un coup de pornographie avec une femme qui vient filmer leurs ébats. Rosie est confuse, désespérée et de ne pas savoir s’opposer à ce qu’elle comprend comme un viol. Et aussi comme un vol, car elle ne verra jamais l’argent que Max gagne avec ce trafic minable d’images. Rosie se retrouve enceinte.

Les parents quittent Brive-la-Gaillarde et s’établissent à Antony, à faible distance de Rosie. Mais ils ne lui font aucun signe et ignorent son enfant. Ils ont accueilli Lazare qui passe ses journées à dormir et ses nuits à trainer. Rosie finit par sombrer dans l’alcool et décide de rejoindre Lazare en Guadeloupe.

Finalement, dans une écriture percutante, hypnotique, poétique, truffée d’intrigues multiples et de péripéties qui lui donnent une modernité et une qualité romanesques, Marie N’DIAYE nous conte une histoire touchante d'une Rosie, d’une famille glauque, qui voudrait tant s'en sortir dans la vie ; mais c'est comme si une espèce de ciel d'airain se posait sur sa tête, et qui la condamnait à un éternel recommencement. Rosie veut sa vie en main, mais c'est une fille engluée dans un sentiment d'insignifiance, une femme naïve, mal aimée et étrangère à ses parents, détruite par l'indifférence d’une cellule parentale irresponsable. «Les rapports familiaux tels qu’ils sont dépeints dans l’œuvre littéraire et théâtrale de Marie NDiaye sont, pour la plupart, fantastiquement mortifères. La famille est un organisme qui finit très souvent par anéantir le protagoniste ndiayïen, le détruisant petit à petit, à travers d’inquiétantes formes d’exclusion, d’abandon, de rejet, de torture ou de trahison. Pères, frères, soeurs et (surtout) mères s’insèrent insidieusement dans l’esprit auto-flagellant des héroïnes et des héros de NDiaye, mais ils refusent d’y rester tranquillement», écrit Andrew ASIBONG. Par conséquent, Rosie Carpe est un roman âpre sur la culpabilité où des enfants se détruisent en raison de l’indifférence. Dans une démarche digne de William FAULKNER (Voir mon article, Médiapart, 2 juin 2021), Marie N’DIAYE pointe lumière la difficulté à nommer, et à transformer, les rapports de force qui structurent les relations sociales, au sein d’une communauté toujours marquée par la domination blanche et masculine. L’autrice n’est ni dans la dénonciation ou la révolte, mais décrit, de façon minutieuse un pouvoir omniprésent, dominant les relations sociales, comme les stratégies existentielles.

 

 

Références bibliographiques
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2 juillet 2024 2 02 /07 /juillet /2024 18:04
«Ismail KADARE (1936-2024), romancier, nouvelliste, poète, ethnologue, sociologue, historien, politiste, le plus francophile des écrivains albanais, littérature et dictature» par Amadou Bal BA -
L’immense écrivain albanais, du pays des Aigles, Ismail KADARE est mort d’une crise cardiaque, le 1er juin 2024, à Tirana en Albanie. «L’enfer communiste, comme tout autre enfer, est étouffant. Mais dans la littérature, cela se transforme en une force de vie, une force qui t’aide à survivre, à vaincre la tête haute la dictature. Sous la dictature, vivre, pour moi, c’est créer la littérature. J’étais écrivain avant même d’être contestataire. C’est la littérature qui m’a conduit vers la liberté et non pas l’inverse ; voilà qui n’a jamais fait de doute à mes yeux. J’ai connu la littérature avant, bien avant de connaître la liberté», dit Ismail KADARE. Dans sa jeunesse, Ismail KADARE était un sympathisant communiste. Il a été envoyé à Moscou ; il a aussi été journaliste, membre de l’association des écrivains, parlementaire sous Enver HOXHA. Ecrivain, il a fait l’éloge et la grandeur de son pays, ce qui flattait les égos du régime communiste. «C'est le premier paradoxe que présente cette œuvre monumentale et hors du commun, qui fait de son auteur, Ismail Kadaré, l'égal de conteurs contemporains comme García Marquez ; à mesure que l'État albanais rompait avec ses «amis» politiques successifs et faisait montre d'une misanthropie générale, l'écrivain a poursuivi, par voie de littérature, une entreprise inverse : le succès international aidant, il est devenu un ambassadeur littéraire qui maintenait en vie l'âme et la mémoire collective de son pays», écrit Eric FAYE. Par conséquent, sans être ouvertement dissident, mais en résistant de l’intérieur par sa littérature, Ismail KADARE s’éloigne et combat, à travers de ses écrits, avec des métaphores et légendes, l’idéologie maoïste, le régime de l’Albanie. On peut donc vivre sous une dictature, sans se taire. Ainsi, dans «Prométhée», il fait état d’un secret tabou, à savoir les penchants homosexuels du dictateur Enver HOXHA. L’aigle, emblème dans le drapeau du pays, est ambivalent ; il fait référence à l’écrivain, Ismail KADARE, mais aussi au chef de l’Etat et dictateur, un nationalisme à double sens, et donc une capacité de résister aux invasions extérieures, mais aussi, en interne, à la dictature maoïste. «Lorsque, au début des années 1980, avant la chute du rideau de fer, les romans de Kadaré commencèrent d’être traduits et connus en France, puis en Europe et ailleurs, ils fascinaient certes, mais ils ne satisfaisaient vraiment personne sur le plan de l’idéologie. Car il y avait dans ces textes trop de marxisme et trop de nationalisme pour que leur auteur ne soit pas suspecté, à droite, d’être le produit du communisme albanais, en clair, de ne pas être un authentique dissident. L’auteur était sommé de se justifier d’être toujours vivant et d’avoir pu publier. L’homme et son œuvre étaient suspectés d’ambiguïté, de défaut de clarté : trop d’ombre. Or, précisément, ce qui caractérise l’écriture de Kadaré, c’est qu’il ne cherche pas le centre, la pleine lumière, mais explore les zones d’ombre et de brouillard. Pour cela, son choix est d’être en permanence à la frontière», écrivent Ariane EISSEN et Véronique GELY, dans «Lectures d’Ismail Kadaré». En effet, pour Ismail KADARE le monde communiste, avec la cruauté et les terreurs qu'il véhicule, se révèle être un remarquable creuset où s'élabore sans cesse l'alchimie de la légende. Il demande l’asile politique à la France le 25 octobre 1990, mais retournera en Albanie, en mai 1992, à la victoire du Parti démocratique. À la mort d’Enver HOXHA, en 1985, il a été remplacé par Ramiz ALIA (1925-2011), qui a maintenu un régime isolationniste et stalinien. «J’ai moi-même quitté l’Albanie, comme vous le savez, en 1990. J’aurais pu partir avant cette date, à l’époque où l’Albanie était stalinienne, et donc terriblement dangereuse pour les écrivains. Comme tous les écrivains albanais, j’ai moi aussi été en danger, à plusieurs reprises. Lorsque je suis parti en 1990, ce n’était pas en raison du danger, pas du tout. Je suis parti en 1990 pour accélérer le processus de démocratisation, qui n’avait pas encore commencé ; au contraire, ce mouvement n’a commencé en Albanie qu’après mon départ. À cette époque, le pouvoir communiste albanais, avec une formidable hypocrisie, mentait jour et nuit, promettant aux Albanais qu’il allait faire en sorte que l’Albanie sorte de son isolement, mais faisait en réalité tout le contraire», dit Ismail KADARE. L’essentiel de sa contribution littéraire, en albanais et simultanément en français, son traducteur Yusuf VRIONI (1916-2001) y est pour quelque chose, a été produit pendant la période communiste de son pays. Sans manifester une hostilité frontale au régime, Ismail KADARE, a rejeté le réalisme socialiste, pour une vision littéraire, poétique, macabre ou décadente : «Il est possible qu’en entendant les cours de littérature à Moscou, j’aie fait un rejet instinctif des climats printaniers qui étaient ceux de la littérature du réalisme socialiste. Tout dans la littérature socialiste, même le climat, avait quelque chose d’officiel. Soleil, terre, printemps, lumière, optimisme, tout cela était presque officiel. C’est peut-être pour cette raison que j’ai commencé à être attiré par les temps beaucoup plus sombres», dit Ismail KADARE.
Ismail KADARE est né le 28 janvier 1936 à Gjirokastër, en Albanie, une ville inscrite au patrimoine mondiale de l’UNESCO, avec son musée de la Guerre froide : «Ma ville n’était pas la capitale, mais pendant des siècles, elle était plus connue que la capitale. Tirana était une petite bourgade, tandis que Gjirokastër était la grande ville de l’Empire romain au Sud. Il y avait Durrès, où Ciceron avait une maison. L’empereur Auguste y avait fait ses études non loin de là.», dit-il. De son enfance, il en a tiré, «Chronique de la ville de pierre», un roman autobiographique «C’était une ville étrange qui, tel un être préhistorique, paraissait avoir surgi brusquement dans la vallée par une nuit d’hiver pour escalader péniblement le flanc de la montagne. Tout dans cette ville est ancien et de pierres, depuis les rues et les fontaines jusqu’aux toits des grandes maisons séculaires, ouvertes de plaques de pierres grises, semblables à de gigantesques écailles. On avait de la peine à croire que sous cette puissante carapace subsistait et se reproduisait la chair tendre de la vie», écrit-il. Sa ville natale est également celle du dictateur Enver HOXHA (1908-1985), qui y avait dressé, une statue Staline haute de plus de dix mètres ; elle ne disparaîtra que le 22 décembre 1990. Pendant son règne, l’Albanie était fermée au reste du monde. «Nul n'ignore que, sous un régime tyrannique, un grand écrivain isolé est un peu comme un arbre marqué pour être abattu», dit Ismail KADARE. Son père est Halit KADARE un petit fonctionnaire. Sa mère, Hatixhe DOBI, originaire d’une vieille famille albanaise d’Épire, est descendante de grands propriétaires terriens, maison à Corfou. L’Albanie, pays d’Europe du Sud multiculturel, des Balkans, est bordée par la mer Adriatique à l’ouest ; ses voisins sont la Grèce au Sud, la Macédoine à l’Est, le Kosovo au Nord-Ouest par le Kosovo et au Nord le Monténégro. Issu d’une famille aristocratique d’Albanie son grand-père a combattu pour l’autonomie. L’Albanie d’Ismail KADARE a eu une histoire riche, mais tumultueuse. Il est né sous le règne de ZOG 1er (1895-1961) avec pour capitale, Durrès, qui s’était proclamé roi en 1928, puis Premier ministre et Président de la République. Il fut renversé en 1939 par Bénito MUSSOLINI (1883-1945), le Duce d’Italie, qui s’est présentée comme étant «le libérateur» de l’Albanie. D’autres pays avaient des visées impérialistes sur l’Albanie (la Turquie, l’Autriche-Hongrie, la Grèce, la France). Pendant le Deuxième mondiale, les Allemands remplacent les Italiens comme force d’occupation, ils feront face à la résistance albanaise. La littérature d’Ismail KADARE est nourrie de l’histoire nationale, des traditions et contes d’Albanie. Le roman, «le Général de l’Armée morte », se fait écho des velléités des nationalistes partisans d’une grande Albanie ethnique devant inclure le Kosovo. Ismail KADARE, admirateur de la tragédie grecque, prétend aussi que la culture latine et européenne n’a jamais disparu en Albanie malgré l’islamisation ; il fait l’éloge du caractère national et se laisse aller à sa haine des Serbes. Si l’Albanais est l’aigle, le Serbe lui, toujours d’après l’auteur, s’apparente, étymologiquement du moins, au serpent.
Ismail KADARE effectue ses études primaires et secondaires dans sa ville natale : «J’ai toujours su ce que je voulais. À dix ans, je lisais Macbeth. J’adorais les histoires de fantômes. J’ai publié, très tôt, à dix-sept ans des poèmes», dit-il.  Après la faculté des lettres de l’université de Tirana, il fut envoyé en URSS, en 1958, à l’Institut littéraire de Maxime Gorki, à Moscou. «L’Institut se trouve près de la statue de Pouchkine. Les filles étaient jolies. Mais j’étais malheureux comme écrivain. J’étais entouré de médiocres fonctionnaires qui voulaient être écrivains», dit-il. En raison de la destalinisation engagée par Nikita KHROUTCHEV (1894-1971) entre l’URSS et l’Albanie étant rompues, Ismail KADARE est contraint d’interrompre ses études et de retourner dans son pays. «C’est le temps de la perfidie, des dieux rabougris ; ces dieux scythes qui allaient gonfler leurs joues terribles pour balayer mon pays de la surface du globe», écrit-il dans «le crépuscule des dieux de la steppe». En 1961, contraint et forcé de revenir en Albanie, Ismail KADARE devient chroniqueur à la «Drita», ou la Lumière, un hebdomadaire littéraire et devient donc un écrivain professionnel, membre de l’Union des écrivains : «J’avais 30 ans. Je recevais un bon salaire, le même qu’un Directeur d’usine, plus qu’un ingénieur. Lorsque vous recevez des honoraires, vous en reversez un quart à la caisse de  l’Union des écrivains», dit-il. Ismail KADARE a été député de 1970 à 1982.
Dans ses livres où se mêlent sans cesse présent et passé, la résistance au nazisme, l’amitié et la rupture avec l’URSS, la vision fantastique et réaliste, la tradition orale et la poésie épique, les fables et les ballades, la vie quotidienne, l’allégorie, la satire, le morbide, le drame ou la méditation profonde, tout cela est la marque d’un grand écrivain. Son pays, objet de ses attentions littéraires, l’Albanie, sous le joug de l’Empire ottoman pendant un demi-millénaire, a connu au XXe siècle successivement la République, la monarchie, l’invasion de MUSSOLINI, d’HITLER, le communisme stalinien, puis maoïste, enfin un retour à une démocratie peu convaincante ; et ne cesse taper à la porte de l’Europe. «La vérité n’est pas dans les actes, mais dans mes livres qui sont un vrai testament littéraire», dit-il. Aussi, il a été un écrivain très prolifique avec cinquante ouvrages, des romans, essais, nouvelles, poèmes, contes et pièces de théâtre traduits dans 40 langues, en grande partie écrits sous la surveillance oppressive du régime d’Enver HOXHA. Par conséquent, pour lui, un écrivain doit être au service de la liberté. L’essentiel de sa contribution littéraire est une dénonciation des systèmes totalitaires fondés sur la délation, l’obéissance par la terreur. Il a aussi brossé le portrait d’une Albanie farouchement attachée à sa liberté et perpétuelle lutte contre ses différents envahisseurs. Son épouse, écrivaine et traductrice, Héléna KADARE évoque dans ses mémoires, les différentes amitiés, rencontres et confidences du couple, l’angoisse, l’énergie, le courage, ainsi les stratégies du coupe pour déjouer la censure et mettre à l’abri, en France, les écrits sensibles.
En historien, mémorialiste et politiste, Ismail KADARE, auteur de grands romans, l’Hiver de la grande solitude, Avril brisé, Le Palais des rêves, Le Général de l'armée morte et Le Grand Hiver, toujours nominé, mais, il n’a jamais eu de prix Nobel de littérature. «La littérature est mon plus grand amour, le seul, le plus grand incomparable avec toute autre chose dans ma vie. Et comme elle, l’écrivain n’a pas d’âge. La littérature m’a donné tout ce que j’ai aujourd’hui, elle a été le sens de ma vie, elle m’a donné le courage de résister, le bonheur, l’espoir de tout surmonter», dit Ismail KADARE. Dans le «général de l’armée morte», prenant décor dans une Albanie de montagnes, de pluie, de brouillard, de neige, et de souvenirs, un général italien, en charge d'une mission aussi étrange que lugubre : déterrer les squelettes des soldats morts sur le sol albanais pour les restituer à leur famille, vingt ans après la guerre. L’Italie a échoué dans sa conquête de l’Albanie. En somme, donner à ces valeureux soldats une digne sépulture, rendre les morts à la terre qui les a vus naître, représente pour le général une tâche honorable dont il cherche à s'acquitter avec zèle et fierté. C’est un remarquable livre, difficile d’accès, mais beau, sombre et gris comme cet hiver albanais. Helléniste et l’Albanie étant voisine de la Grèce, Ismail KADARE a recherché dans «Eschyle ou l’éternel perdant», le moyen d’apporter des réponses à ses interrogations sur les faits sociaux de son pays. Les origines albanaises, le Kanoun, le coutumier, sont aussi anciennes que celles de la Grèce antique, avant Homère. Eschyle est mort en exil. Le sacrifie d’Iphigénie, la guerre de Troie, tout cela se tiendrait dans l’ouest du territoire albanais. Ismail KADARE, porte-parole de l’Albanie, a donc réécrit son Histoire : «Comme tout grand écrivain, Eschyle avait conscience qu’au regard du fonctionnaire, quel que fut son range, qui représentait le pouvoir, lui-même était un prince, et non seulement de l’art, mais de toute la nation», écrit-il.
En sociologue, la haine, ses conflits insolubles et éternels, sont présents dans cette poudrière des Balkans, et donc dans les romans d’Ismail KADARE. Ainsi, «Le cortège de la noce s’est pétrifié», c’est l’histoire d’une jeune fille serbe fiancée à un garçon albanais. La caravane venue chercher la mariée s’est changée en pierre pendant le voyage ; ce qui constitue un obstacle insurmontable au mariage. Cette allégorie relate le soulèvement des Albanais du Kosovo, au printemps de 1981, et la sévère répression de la province par les autorités serbes ; c’est une tragédie digne d'Eschyle, rehaussée par Ismail KADARE, sous le prisme de l'histoire. «Ma mission d’écrivain, c’est de décongeler. Cette haine doit s’évanouir, dégeler», dit-il. Dans «Qui a ramené Doruntine ?», des faits remontant au Moyen Âge, l’héroïne, Doruntine, se présente chez sa mère après trois ans d’absence. Son frère Konstantin l’aurait ramenée des lointaines contrées de Bohême où elle s’est mariée. Il en avait certes fait le serment, mais chacun sait qu’entre-temps il est mort à la guerre. Sommé par les autorités d’élucider l’affaire pour mettre fin aux superstitions et aux plus folles rumeurs, le capitaine Stres soupçonne une imposture de haute volée. Il n’a qu’une obsession : retrouver le cavalier de Doruntine. Dans cette époque médiévale, les princes se mariaient en endogamie et Doruntine était mariée à un étranger de Bohême. Comment un mort peut-il ramener sa sœur à la maison ? C’est un roman, écrit en 1979, à la fois fantastique et moderne et donc une allégorie «L’idée même des mariages lointains avait reçu un coup de grâce. L’Albanie devra-t-elle modifier ses lois, ses prisons, ses tribunaux et tout le reste ? Ne cherchez pas d’allusions. Je ne trouve pas mon pays aussi isolé qu’on le dit.», dit Ismail KADARE.
Ismail KADARE a été membre associé à l’Académie française des sciences morales et politiques, compter du 28 octobre 1996. Le couple avait de nombreux amis en France, dont Michel PICCOLI (1925-2020) et sa femme, Ludivine LECLERC, scénariste et actrice, mais aussi Henri AMOUROUX (1920-2007), journaliste, historien, écrivain et président de l’Académie des sciences morales et politiques et Colette DEMAN, une relation de plus de 26 ans.
Marié à une écrivaine et journaliste, Helena GUSHI depuis 1963, ils ont eu deux filles, Gresa et Besiana KADARE. «Au moment où l’Albanie n’émettait que d’abominables signaux, Ismail avait libéré la littérature albanaise de ses carcans en la faisant connaître au cœur de l’Europe où elle allait côtoyer des littératures de grande tradition», écrit, en 2010, dans Helena GUSHI-KADARE, dans «Le temps qui manque. Mémoires». Écrivain national d’Albanie, il «savait faire aimer sa terre natale, et ranimer chez les Albanais, l’orgueil de leur passé national», écrit, Anne-Marie MITCHELL, dans «un Rhapsode albanais, Ismail Kadaré».
Références bibliographiques
I – Contributions d’Ismail KHADARE
KADARE (Ismail) FERNANDEZ-RECATALA (Denis), Les quatre interprètes, Paris, Stock, 2003, 212 pages ;
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KADARE (Ismail), Chronique de la ville de pierre, Paris, Hachette, 1973, 220 pages ;
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KADARE (Ismail), COURTOIS (Stéphane) SINANI (Shaban), Le dossier Kadaré. Suivi de la vérité des souterrains, traduction de Tedi Papavrami, Paris, Odile Jacob, 2006, 205 pages ;
KADARE (Ismail), Dante ou brève histoire de l’Albanie avec Dante, Alighieri, traduction de Tedi Papavrami, Paris, Fayard, 2006, 99 pages ;
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KADARE (Ismail), Entretiens avec Eric FAYE, Paris, J. Corti, 1991, 109 pages ;
KADARE (Ismail), Eschyle ou l'éternel perdant, traduction de Yusuf Vrioni et Alexandre Zotos, Paris, Le livre de poche, 1998, pages ;
KADARE (Ismail), Fille d’Agamemnon : roman, traduction de Tedi Papavrami, Paris, Fayard, 2003, 130 pages ;
KADARE (Ismail), Fleurs d’avril, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, éditions Corps 16, 2000, 213 pages ;
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KADARE (Ismail), Hamlet, le principe impossible, traduction d’Artan Kotro, Paris, Fayard, 2007, 166 pages ;
KADARE (Ismail), Il a fallu ce drame pour se retrouver : journal de la guerre du Kosovo, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, Fayard, 2000, 243 pages ;
KADARE (Ismail), Invitation à l’atelier de l’écrivain, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, LGF, 1991, 217 pages ;
KADARE (Ismail), Ismail Kadaré et la nouvelle poésie albanaise, traduction et présentation de Dritero Agolli, Fatos Arapi et Michel Métais, préface d’Alain Bosquet,  Paris, J-P Oswald, 1973, 183 pages ;
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KADARE (Ismail), L’accident. roman, Paris, Fayard, 2008, 288 pages ;
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KADARE (Ismaïl), L’Année noire. Le Cortège de la noce s’est figé dans la glace, traduction d’Alexandre Zotos, Paris, Fayard, 1987, 250 pages ; 
KADARE (Ismail), L’hiver de la grande solitude, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, Zulma, 2022, 656 pages ;
KADARE (Ismail), L’ombre, Paris, LGF, 2007, 256 pages ;
KADARE (Ismail), La discorde, l’Albanie face à elle-même. Essai littéraire, traduction d’Artan Kotro, Paris, Fayard, 1973, 376 pages ;
KADARE (Ismail), La grande muraille, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, Fayard, 1993, 136 pages ;
KADARE (Ismail), La niche de la honte, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, LGF, 1990, 210 pages ;
KADARE (Ismail), La poupée, traduction de Tedi Papavrami, Paris, Fayard, 2015, 154 pages ;
KADARE (Ismail), La pyramide, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, Fayard, 1992, 233 pages ;
KADARE (Ismail), La ville du Sud, Paris, publications orientalistes de France, 1985, 190 pages ;
KADARE (Ismail), La ville sans enseigne, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, Stock, 1999, 152 pages ;
KADARE (Ismail), Le climat de folie suivi de la morgue et de Jours de beuveries, Paris, Fayard, 2005, 192 pages ;
KADARE (Ismail), Le concert, traduction de Yusuf Vrioni, Paris, Fayard, 1993, 627 pages ;
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KADARE (Ismail), Le dîner de trop. roman, traduction d’Artan Kotro, Paris, Fayard, 2009, 213 pages ;
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KADARE (Ismail), RAPPER de (Gilles), L’Albanie entre la légende et l’histoire, préface de Christian Bromberger, traduction de Tedi Papavrami, Arles, Actes Sud, 2004, 124 pages ;
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II – Autres références
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BAKALI (Diana), Ismail Kadaré porte-parole du peuple albanais en Europe, thèse sous la direction de Jacques Houriez, Besançon, Université de Franche Comté, 1996, 336 pages ;
EISSEN (Ariane), Visages d’Ismail Kadaré, Paris, Hermann, Cyberlibris, 2015, 325 pages ;
EISSEN (Ariane) GELY (Véronique), sous la direction de, Les lectures d’Ismail Kadaré, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2011, 375 pages ;
FAYE (Eric), Ismail Kadaré, Prométhée Porte-feu, Paris, José Corti, 1991, 176 pages ;
HEINRICH (Nathalie), «Les dimensions du territoire dans un roman d’Ismail Kadaré», Les territoires de l’art, automne 2002, Vol 34, n°2, pages 207-218 ;
KADARE (Héléna), Le temps qui manque. Mémoires, traduction d’Artan Kotro, Paris, Fayard, 2010, 782 pages ;
KOTOS (Alexandre), L’anthologie de la prose albanaise, traduction de Yusuf Vrioni, et Luan Gjergji, Paris, Fayard, 1983, 560 pages ;
M’RAIHI (Mariam), Ismail Kadaré ou l’inspiration prométhéenne, Paris, Harmattan, 2004, 213 pages ;
METAIS (Alaine) éditeur, Ismail Kadaré et la nouvelle poésie albanaise, Paris, Hermann, Cyberlibris, 2015, 325 pages ;
MITCHELL-SAMBRONI (Anne-Marie), Un Rhapsode albanais, Ismail Kadaré, Marseille, Le temps parallèle, 1990, 113 pages ;
RAPPER de (Gilles), «Ismail Kadaré et l’ethnologie albanaise de la seconde moitié du XXe siècle», in Ariane Eissen, Véronique Gély, Lectures d’Ismail Kadaré, Presses universitaires de Paris Ouest, 2011, pages 43-70 ;
SERGENT (Bernard), «Ismail Kadaré, Eschyle ou l’éternel perdant», Annales, économies, sociétés, civilisations, 1989, n°5, pages 1261-1263 ;
SPAHIU (Alketa), De l’épopée au roman : culture et création dans l’œuvre de Ismail Kadaré, thèse sous la direction de Pierre Brunel, Université de Paris IV, 2004 ;
TERPAN (Fabien), Ismail Kadaré, Paris, éditions universitaires, 1992, 175 pages ;
TERPAN (Fabien), Ismail Kadaré, une dissidence littéraire, Paris, Honoré Campion, 2019, 482 pages ;
ZAND (Nicole), «Ismail Kadaré l’albanais», Le Monde, 23 mai1986 ;
ZOTOS (Alexandre), Ismail Kadaré par lui-même. Les dits et les non-dits de l’autobiographie, Paris, Harmattan, 2022, 238 pages.
Paris, le 1er juin 2024, par Amadou Bal BA -
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«Ismail KADARE (1936-2024), romancier, nouvelliste, poète, ethnologue, sociologue, historien, politiste, le plus francophile des écrivains albanais, littérature et dictature» par Amadou Bal BA -
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7 juin 2024 5 07 /06 /juin /2024 20:07
«Ivo ANDRIC (1892-1975), prix Nobel de littérature, poète, nouvelliste, historien et romancier, ses livres : Le Pont sur la Drina, la Chronique de Travnik» par Amadou Bal BA –
Ivo ANDRIC est, à ce jour, le seul prix Nobel de Littérature yougoslave, «pour la force épique avec laquelle il a dépeint les destinées humaines à partir de l'histoire de son pays», dit l’Académie de Nobel. La littérature doit servir de nobles causes : «Le conteur et son œuvre ne servent à rien, s’ils ne servent pas, d’une manière ou d’une autre, à l’Homme et à l’Humanité», dit-il, en 1961, lors de la réception de son prix Nobel. Dans sa littérature en prose, inspirée de l’histoire, de traditions, de religions, de cultures, de contes, de légendes et de mythes de cette «Bosnie Obscure», un monde impitoyable : «trois siècles et demi d'oppression ottomane sur des populations diverses, opposées par l'origine ou la religion : Serbes orthodoxes, Slaves, Chrétiens ou islamisés, Turcs, Juifs, puis trois quarts de siècle de domination autrichienne. Un chaudron de sorcière plein de haine et de passion, ce chaudron étant une Bosnie terrorisée, renfermée, prête au Mal», dira-t-il, en 1961, à George ADAM du «Figaro Littéraire». En effet, imprégné de cette culture bosniaque, dans ses contes et légendes, Ivo ANDRIC en a fait une puissante contribution littéraire d’espérance, en exorcisant la haine et les peurs. «C’est sur ces sentiers (de la solitude) que le vent balaie et que la pluie lave et que le soleil infecte et guérit, sur lesquels ne se rencontrent que du bétail martyrisé et des hommes taciturnes au visage sombre, qu’a pris ma pensée de la richesse et de la beauté du monde. Là, ignorant et faible et les mains vides, j’ai heureux jusqu’au vertige, heureux de tout ce qui n’existe pas, ne peut exister, et n’existera jamais», écrit-il dans les contes de la solitude. Poète et philosophe, Ivo ANDRIC, la fréquentation de sa contribution littéraire exigeante, est un voyage délicieux : «L’incomparable clarté de son style, sobre et lapidaire, évoque la longue tradition orale de la poésie populaire et des légendes de son pays, tradition qui s’était enracinée sous l’occupation ottomane, durant laquelle l’usage de l’écriture fut peu pratiqué par la population indigène. Une élégance dépourvue de tout artifice, joint à un raffinement naturel et cultivé, avait fait de ce narrateur un classique des lettres aussi bien yougoslaves que slaves en général, comparable à un Gogol ou à un Tchékhov», écrit Pasquale DELPECH, la traductrice d’Ivo ANDRIC.
Possédant son roman, «Le Pont sur la Drina», depuis plus de 42 ans, j’ai souvent reculé, avant d’en faire maintenant un compte rendu, et cela pour plusieurs raisons.
La première raison est liée au fait que j’avais souvent associé, et c’est une explication freudienne, Ivo ANDRIC à une blessure du cœur. En effet, c’est bien Vesna, une Serbe, originaire de Novi Sad, une ville du nord de la Serbie, sur les bords du Danube, que j’avais rencontrée à Paris, qui m’avait offert «Un pont sur la Drina». Vesna m’écrira une lettre, l’année suivante, de son projet de revenir à Paris, mais que j’ai reçu son courrier, très tardivement. Aussi, quand Vesna passa à mon domicile, j’étais momentanément absent. À l’époque, il n’avait pas de portable ou de Whatshapp. Croyant que je ne voulais pas la revoir, et en dépit de mes explications, ce fut une rupture définitive. À chaque fois que je revoyais ce roman d’Ivo ANDRIC, avec la dédicace de Vesna, en raison de cette profonde peine du cœur, je le rangeais, rapidement. Finalement, je me suis dit que l’écriture peut être une forme de thérapie, de soulagement, contre la souffrance humaine, une «façon de mettre son âme en paix», suivant John STEINBECK, de me «libérer de la douleur», selon Chimamanda NGOZI ADICHIE ou l’écriture est une façon «d’exprimer ses émotions et ses pensées les plus intimes», écrit Langston HUGHES.
La seconde raison était la barrière de la langue, mais nous disposons maintenant de bonnes traductions, en français, des ouvrages d’Ivo ANDRIC. «Il faut parfois que survienne une tragédie pour qu'une littérature surgisse au grand jour. Ce jugement, que l'on a pu entendre à plus d'une reprise depuis l'autodestruction de la Yougoslavie, n'est guère cynique : jamais, avant sa fin tragique, on n'avait traduit autant d'écrivains de cet ex-pays. Les livres d'Ivo Andric, presque inconnu avant son prix Nobel, en 1961, ont bénéficié de nombreuses traductions, non seulement en Europe ou aux États-Unis, mais également dans des pays arabes et en Turquie où cet auteur fut salué comme un des «grands évocateurs» de l'Empire ottoman. Depuis une dizaine d'années, ses œuvres, rééditées un peu partout, sont apparues à une partie du public européen comme une fascinante grille de lecture des événements balkaniques, si difficiles à déchiffrer et à comprendre», écrit, en 2005, dans le journal Le Monde, Predrag MATVEJEVITCH, un article «Andric, romancier de l’histoire». Ivo ANDRIC est un auteur très polyglotte, s’exprimant dans un français châtié, ainsi que dans d’autres langues, comme le bosniaque, le serbo-croate, l’allemand, l’anglais ou l’espagnol. Cependant, Ivo ANDRIC demeure un grand inconnu du grand public français ou francophone.  «Je ne suis jamais aussi bien que lorsque j’écris et ne parle pas, et lorsqu’on n’écrit ni ne parle de moi», écrit Ivo ANDRIC, dans «Signes au bord du chemin», une œuvre intime, publiée à titre posthume. En effet, auteur réservé, fuyant la lumière, «Ivo Andrić aura très probablement été l’un de ces grands auteurs slaves dont le vrai visage demeura longtemps inconnu en Occident. Même le prix Nobel de littérature (qu’il reçut en 1961) n’aura pas eu l’effet escompté : dans bon nombre de pays, en France d’abord, son œuvre reste à découvrir. Son refus de toute publicité, sous quelque forme que ce fût, même la plus inavouée, a été peut-être aussi cause de cette méconnaissance» écrite Pasquale DELPECH. L’auteur pense qu’un écrivain performant est celui, comme Sénèque se retire du monde, renonce aux vanités, aux mondanités «Tant que l’écrivain n’arrivera pas à éteindre sa vie et à dresser, entre le monde familier et lui-même, un rideau opaque et impénétrable, aucune chose, homme ou brindille, ne prendra vie ni forme sur le papier devant lui», dit-il.
«Le pont sur la Drina», me paraît être d’une grande actualité, au moment où l’Europe de la Raison, des Droits de l’Homme et des Lumières, de la compassion, de la paix et du bien-vivre ensemble, bascule dans le côté obscur des choses, dans la négrophobie et la xénophobie, nous interpelle sur le bien-vivre ensemble. Les élections européennes du 9 juin 2024 sont un grand moment de bascule. Prosateur brillant et élégant, cosmopolite, Ivo ANDRIC appelait à la bienveillance et à la tolérance. Le «Pont sur la Drina», dans sa dimension symbolique, concentre des tensions, mais aussi c’est une puissante image des échanges culturels, commerciaux et humains, de la Concorde. «Le pont sur la Drina voit surgir des ténèbres quelque lumière de conscience ainsi qu’une volonté tenace de secouer et de rejeter les entraves», écrit Pasquale DELPECH. Par ailleurs, ce que dit Ivo ANDRIC, cela me parle, c’est l’histoire de son peuple soumis à différentes dominations ottomanes, austro-hongroises et allemandes, et qui aspire à vivre libre, selon ses lois.
La troisième raison tient d’une part, à la façon des Occidentaux, notamment les orientalistes, de considérer que la littérature des autres, et en particulier, ici celle des Balkans, comme une littérature mineure. Cette perception des autres, stéréotypées des autres, découlant des concepts d’orientalisme ou de balkanisme, tend à inférioriser ou à folkloriser ces littératures considérées comme arriérées. D’autre part, des polémiques malhonnêtes sur le rôle d’Ivo ANDRIC, dans ses romans historiques, empreints de fiction, ont brouillé son image. En effet, héros pour les Serbes, il est considéré par certains Bosniaques comme un traître, avec un sentiment que sa littérature aurait eu une influence néfaste dans la tragédie survenue dans leur pays, survenue, notamment le massacre à Srebrenica, entre les 11 et 22 juillet 1995, avec ses 8000 morts. En fait, si les nationalistes serbes ont instrumentalisé sa contribution littéraire, Ivo ANDRIC traitant de l’histoire, très ancienne, mort en 1975,  n’avait pas pu théoriser cette haine. Dans son réalisme et ses romans de l’histoire «Je ne tire aucune conclusion des faits, mais les faits même, je les vois», dit Ivo ANDRIC. La contribution littéraire d’Ivo ANDRIC c’est la complexité de la vie «C’est un microcosme sans cesse tiraillé entre Dieu et Satan, les anges et les démons, le Bien et le Mal, où existent l’amour pur, les sentiments nobles et raffinés, la bonté innée et généreuse. Mais surtout, surtout les bourrasques de la violence irrationnelle et les tempêtes du mal déchaîné, la haine souvent gratuite et insensée, les passions survoltées et destructrices, les instincts ataviques non maîtrisés. En un mot, la vie», écrit Milivoj SREBRO. Depuis un certain temps, ces polémiques se sont estompées :  «Serbe par son choix et sa résidence en dépit de son origine croate et de sa provenance catholique, bosniaque par sa naissance et son appartenance la plus intime, yougoslave à part entière tant par sa vision poétique que par sa prise de position nationale, que ferait-il au moment où se détruit tout ce qu’il avait aimé et soutenu, ce à quoi son œuvre est si profondément liée ? Les ponts réels ou symboliques qu’il a décrits ou bâtis dans tant de ses ouvrages sont-ils brisés et détruits à jamais ? », s’interroge Pasquale DELPECH, dans la postface du «Pont sur la Drina». Ce témoignage sur son talent, mais dans la plus grande discrétion est confirmé. Auteur à talents multiples, il «possédait à la fois la connaissance de l’historien et la sensibilité du psychologue, la patience de l’archéologue et la profondeur du philosophe, la sérénité du sage et la clairvoyance du visionnaire. Le second, discret et humble, souvent replié sur lui-même, d’où cette étonnante tendance de l’homme à s’effacer progressivement au profit de l’écrivain en se sacrifiant jusqu’à l’abnégation à sa mission littéraire», écrit Milivoj SREBRO.
Ivo ANDRIC traite dans sa contribution littéraire de  sujets historiques lointains, un réalisme qui donne au lecteur l'impression de lire la transcription exacte d'un récit, «un effet réel», comme le dirait Roland BARTHES. Les conflits sociaux et nationaux et les divergences idéologiques, qui pourtant abondent dans la littérature yougoslave contemporaine, sont, en effet, absents de ses livres. Ivo ANDRIC a été en revanche, le plus grand conteur bosniaque «Paradoxalement aussi le catholique Ivo Andric pourrait être considéré comme «le plus grand conteur musulman de Bosnie-Herzégovine », puisqu’il a consacré la majeure partie de son œuvre au passé le plus sombre du milieu musulman, dans les villes comme dans les petites bourgades bosniaques», écrit Midha BEGIC, dans un article, "Bosnie, entre la meute et le fusil". En effet, la contribution littéraire d’Ivo ANDRIC est centrée sur les angoisses, les peurs, l’incompréhension et parfois l’agressivité ou la violence, d’un peuple abandonné à lui-même  : «Dans ses descriptions de la Bosnie, où se sont heurtés au cours des siècles deux mondes inconciliables - l'Occident et l'Orient, - et de ses habitants soumis au bon vouloir du conquérant, Andric a ressuscité un passé de souffrances et d'espérances éminemment yougoslaves, et, pour cette raison peut-être, quelquefois difficile à suivre pour un étranger» écrit, en 1975, dans le Monde, Paul YANKOVITCH.
Ivo ANDRIC, croate et catholique par son origine, Serbe d'adoption, bosniaque par sa provenance, Yougoslave par ses prises de position les plus profondes, est né le 9 octobre 1892, dans une petite paroisse catholique de Dolac, proche de Travnik, en Bosnie, ù sa mère était de passage en visite. L’orthographe de son patronyme en langue française est instable, tantôt «ANDROVIC» ou «ANDROVITCH». Son père, Antun ANDRIC (1860-1894) et sa mère Katarina ANDRIC née PEJIC (1888-1925) quittent très vite sa ville natale. Issu d’une famille pauvre, il a connu les privations : «Pendant plus de la moitié de sa vie, il avait travaillé, épargné, il s’était donné de la peine et tiré de toutes les situations, avait pris garde de ne pas faire de mal à une mouche, de ne se mettre en travers de la route de personne, les yeux fixés droit devant lui, suivant son chemin en silence et s’enrichissant », écrit Pasquale DELPECH. En 1894, alors qu’il n’a que deux ans, son père qui fabriquait, des petits moulins à café, une activité peu lucrative meurt de la tuberculose. Sa mère l'emmène chez sa tante paternelle, Ana MATKOVSCIK et son mari Ivan dans la ville de Višegrad, dont plus tard il rend célèbre le pont. Issu d’une famille croate pauvre, Ivo ANDRIC rejoint, en 1904 à 1912, le lycée de Sarajevo, une ville occupée par les Autrichiens, et où réside sa mère, une orfèvre fabriquant des moulins à café, puis une ouvrière dans une usine de textile. «Depuis sa plus tendre enfance, Andric a été mis en face de la pauvreté et de la souffrance. C’est là, probablement, la source de son attachement et de sa solitude pour les pauvres, les petits et leurs misères», écrit Njegos PETROVIC, un de ses biographes. Après des études de l'histoire à Zagreb, il épouse, en 1958, Milica ANDRIC, née BARBIC (1909-1968), une costumière, qui était auparavant la compagne de Nenad JOVANOVIC, de 1932 à 1957.
Étudiant en histoire, philosophie et littérature à Vienne, membre de l’organisation politique clandestine «Mlada Bosna», ou «Jeune Bosnie», combattant pour que la Bosnie, annexée par l’Empire habsbourgeois, soit attachée à la Serbie, une organisation, Gavrilo PRINCIP (1894-1918), celui a assassiné l’héritier du trône de l’empire austro-hongrois était membre. C’est à Split (Croatie) qu’il se trouvait, en vacances, lors de l’assassinat de l’Archiduc, quand, il retourne à Zagreb, il est arrêté avec d’autres nationalistes et fera un an, dans les prisons de Sibenik (Croatie) et Maribor (Slovénie), puis mis en résidence surveillée, dans un monastère franciscain, dans les environs de Zenica (Bosnie), où il rencontre de nombreux intellectuels, un lieu considéré, par lui, comme une «petite université», avec ses importants documents sur l’histoire. Amnistié en 1917, par l’Empereur 1er Charles d’Autriche (1887-1922), Ivo ANDROVIC fonde avec d’autres, une revue, «Le Sud littéraire», en  vue de la promotion culturelle et un rapprochement politique des peuples du Sud, ainsi que l’affirmation de l’identité et l’unité des peuples, pour une confédération slave. Il publiera, en 1918, son premier livre, «Ex Ponto», traitant de la guerre, de l’enferment et de l’exil, écrire est une tentative pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas tout en sachant que cette parole n’a pas l’importance et le poids qu’on lui accorde la plupart du temps. «Qui connaît la malédiction de vivre dans le silence et le désespoir parmi des gens à qui je ne peux rien dire, et qui n’ont rien à me dire ?», écrit-il dans «Ex Ponto». En 1919, il publie son recueil «Troubles». Dans une société plombée par l’incompréhension, que faire de la parole ? Aussi, dans sa prise de parole, sa contribution littéraire est souvent l’objet de malentendus et plombée par des dilemmes. En effet, la parole, retenue ou proférée, est plus souvent source d’ennuis et de catastrophes que d’apaisement et de résolution des conflits. Pire encore, c’est à travers les mots que souvent, les dissensions tues, que tout le monde connaît, mais cache sous le boisseau, les rancœurs tenaces et les jalousies prennent forme, enflent et finissent par éclater. En 1924, il soutient une thèse, à l’université de Gratz, sur «La vie spirituelle de la Bosnie sous les Turcs». Sa carrière de diplomate s’étale en 1920 et 1941, vice-consul au Vatican, puis consul à Bucarest à Trieste, Gratz et à Marseille, consul général à Paris, puis vice-consul à Madrid, Secrétaire pour la délégation royale yougoslave à Bruxelles, à Genève et enfin à Berlin, au moment où éclate la Guerre. Assigné à résidence par les Allemands, résistant au nazisme, il fut député.
Dans son réalisme, maîtrisant plusieurs langues (Serbo-croate, français, allemand, italien, roumain, au russe, polonais, au tchèque, anglais, russe, espagnol), comme Paul CLAUDEL et Jean GIRAUDOUX, diplomate et écrivain, Ivo ANDRIC a été influencé par de grands écrivains tels que Honoré de BALZAC (1799-1850), de Stendhal (1783-1842), de Walt WHITMAN (1819-1899), Theodor DREISER (1871-1945), Soren KIERKEGAARD (1813-1855), Johan STRINDBERG (1849-1912) et Selma LAGERLOF (1858-940). «Andric, partant de détails réalistes, de formes connues, construit un monde sur le schéma des conceptions connues et copiées sur la réalité, pour ensuite faire entrer précisément dans cette réalité les lois secrètes dont découlent les vieilles légendes, ce charme d'une mystique orientale et particulière qui émane des profondeurs de la terre et des êtres. Dans sa formule personnelle pour évoquer la légende se mêlent des influences qui relèvent déjà, avec certaines contradictions», écrit Petar DZADZIC. Aussi, Ivo ANDRIC a entrepris d’édifier une vaste et savante contribution littéraire en prose, et a écrit durant la Seconde Guerre mondiale ses deux œuvres majeures : «Un pont sur la Drina» et «La Chronique de Travnik», publiées en 1945. Après la Libération, il se rallie au régime du maréchal Tito, adhère au parti communiste, élu député à l’Assemblée populaire de Bosnie-Herzégovine, puis à l’Assemblée fédérale de la Yougoslavie, il continuera de mener ces deux carrières, de diplomate et d’écrivain, jusqu’à sa mort, le 13 mars 1975, à Belgrade, à la suite d’une hémorragie cérébrale. Taciturne et réservé, d'une santé délicate et la vue affaiblie, Ivo ANDRIC, depuis la mort de son épouse en 1968, menait une vie recluse. «Le pire n’est pas de souffrir ou de mourir, car vieillir est un mal sans remède et sans espoir, c’est une mort qui dure», écrit-il dans le Pont sur la Drina. En revanche, éminent polyglotte, parlant un excellent français, évitant les sujets politiques, Ivo ANDRIC est resté jusqu’au bout passionné de littérature, «Le devoir de l'artiste étant de créer et non point de parler», disait-il. Depuis son enfance, Ivo ANDRIC a toujours été d’une santé fragile «Ma vie est dénuée de tout pittoresque. J’entre dans ma soixante-dixième année. Ma santé me cause un souci et j’ai dû me refuser de me rendre en Inde où j’étais invité aux fêtes pour le centenaire de Tagore.  Il est vrai que, depuis mon enfance, je n’ai jamais été ce qu’on appelle bien portant», disait-il déjà en 1961, au Figaro Littéraire.
À la fois poète, nouvelliste, romancier, essayiste, son œuvre se situe en dehors de tout courant littéraire. «Et comme écrivain ? J’appartiens à la catégorie de ceux qui ne se connaissent pas», dit-il au Figaro Littéraire. Le réalisme même qui semble s'en dégager n'est qu'une illusion. En effet, si la plupart des récits sont élaborés à partir de données historiques rigoureusement exactes, ils n'en sont pas moins situés hors du temps, affranchis de toute limite par l'imagination de l'auteur, auquel ils n'offrent qu'un prétexte à peindre des destinées humaines : «Ne sommes-nous pas confrontés, dans le passé comme dans le présent, avec les mêmes notions et les mêmes problèmes ?», dit-il. Je ne pourrai pas évoquer toute la savante et vaste contribution littéraire d’Ivo ANDRIC. Je m’en tiendrai uniquement à ses deux romans que je considère comme étant majeurs, à savoir «Le Pont sur la Drina» (1re partie) et «La Chronique de Travnik» (2e partie).
I – Ivo ANDRIC et son roman, «Le Pont sur la Drina»
Croate d’origine, bosniaque de naissance et serbe de conviction, Ivo ANDRIC, historien et conteur, est l’auteur du «Pont sur la Drina», un grand classique. Plusieurs thèmes structurent, «le Pont sur la Drina», un roman de haute facture sensuel, un conte historique, comme le drame de la foi, de l’être, l’homme dans l’univers ou solitaire, l’apparence et la réalité, la mort ou le dépassement de l’absurde. «Formidable conteur, Ivo Andric ressuscite et fait défiler sur ce pont l’histoire tourmentée des Balkans, avec ses conquérants successifs, ottomans, austro-hongrois, allemands, ses résistants, ses résistants, ses mythes, ses communautés religieuses mêlées et cependant séparées. Il déroule le fil des légendes pour démêler le vrai et l’inventé, brosse des portraits, raconte des histoires gravées dans la mémoire collective, montre son inébranlable continuité dans la lutte de l’ancien et du nouveau», écrit Pascale DELPECH, traductrice et préfacière du «Pont sur la Drina».
Des mythes et légendes de Bosnie entourent et protègent le pont. On raconte que le diable, mécontent de la surface lisse de la Terre créée par Allah, la griffa profondément. Les anges, dépêchés pour réparer les dégâts du Malin, trouvèrent vite la solution : «Ils déployèrent leurs ailes à ces endroits et les gens purent franchir les rivières en passant sur leurs ailes», écrit Ivo ANDRIC. Le pont à la fois bénéfique et sacré, c’est une incrustation du monde céleste sur la terre : «C’est ainsi que les hommes apprirent des anges célestes comment on fait des ponts. Et c’est pourquoi la construction d’un pont représente, après celle d’une fontaine, la plus sacrée des œuvres, et y toucher est le plus grand des péchés, car cette construction de Mehmed-Pacha a son ange gardien qui la protège aussi longtemps que Dieu a décidé qu’elle existerait», écrit Ivo ANDRIC. En cette protection divine, les calamités naturelles et les épreuves politiques les plus douloureuses n’ont pas d’emprise durable, n’ont pas de prise sur la douceur de vivre campagnarde, apaisante et nonchalante «Ces gens de la ville n’aimaient guère se souvenir des choses désagréables et n’avaient pas l’habitude de se faire du souci à l’avance ; ils avaient dans le sang la conscience que la vie véritable est faite de ces périodes de calme et qu’il serait insensé et vain de troubler ces rares moments de répit en aspirant à une autre existence, plus stable et plus constante, qui n’existait pas», écrit Ivo ANDRIC.
Par conséquent, le pont de la Drina, symbole d'immuabilité et de force de la vie, loin d’être un simple récit historique romancé, c’est une chronique, dans une bourgade, sur la Drina, de quatre siècles, avec un fond de tragédie-comédie, des êtres intrigués, désemparés, mais riches en récits populaires: «La vie est un prodige incompréhensible : elle se consume et s’effrite sans cesse, et pourtant elle dure, subsiste, immuable, comme le pont sur la Drina», écrit Ivo ANDRIC. À Vichégrad, il existe un pont sur la Drina, bombardé au cours des deux dernières guerres, et qui remonte en 1571, avec sa Kapia.  «Celui-ci a environ deux cent cinquante pas de longueur, et quelque dix pas de largeur, sauf en son milieu, où il s’élargit en deux terrasses parfaitement symétriques, de chaque côté de la chaussée, doublant ainsi sa largeur. C’est la partie du pont qu’on appelle la «Kapia». À cet endroit, en effet, sur la pile centrale qui s’évase vers le haut, des contreforts construits de part et d’autre de la chaussée soutiennent de chaque côté une terrasse saillant audacieusement et en proportion harmonieuse de la ligne droite du pont, dans le vide au-dessus de l’eau bruyante et verte», écrit Ivo ANDRIC. Vichégrade est une bourgade où les habitants, paysans, marchands, ivrognes aiment à discuter au café, et colporter des commérages. En effet, «Sur la Kapia, entre le ciel, la rivière et les montagnes, les générations successives apprenaient à ne pas s’affliger outre mesure de ce qu’apportait l’eau trouble de la Drina. C’est là qu'ils adoptaient la philosophie inconsciente de la petite ville : la vie est un miracle incompréhensible, car elle se dépense et se dilue sans cesse et pourtant dure et se maintient solidement», écrit Ivo ANDRIC.
Le roman ne relate pas la vie de personnages, mais la chronique d’un pont, Mehemed Pacha Sokolovic, un lieu de la mémoire, du souvenir et de perpétuation de la mémoire orale, des contes. Les habitants «savent que c’est le grand vizir Mehmed pacha, dont le village natal, Sokolovići, est là, derrière une de ces montagnes qui entourent la ville, qui a fait construire le pont. Seul un vizir pouvait procurer tout ce qu’il fallait pour édifier une telle merveille de pierre immuable. Il a été construit par Rade l’architecte, un homme qui a sûrement vécu des centaines d’années pour pouvoir bâtir tant de belles choses qui résistent au temps dans les contrées serbes, un maître légendaire et vraiment anonyme, comme en imaginent et en rêvent les hommes, car ils n’aiment pas avoir à se charger la mémoire ou à être redevables à beaucoup d’autres, même en souvenir. Ils savent que la fée batelière a entravé la construction, de même que depuis toujours et en tout lieu, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour entraver chaque construction, et que, la nuit, elle détruisait ce qui avait été fait le jour», écrit Ivo ANDRIC. Par conséquent, le principal héros de ce roman, c’est l’histoire, incarnée par un pont magnifique de pierres reliant la Bosnie à la Serbie. «Aucune trace de ce romantisme et de ses nombreux avatars dans les lettres slaves.  Ce regard, plongé dans un passé informe, ne se contente nullement de refaire des inventaires surannés. Andrić ressemble à un sage d’Orient qui ne se soucie guère d’édifier, mais cherche simplement à transmettre sa sagesse. Un sage dans la mesure où la conscience du passé vit et sent le présent et se confie à l’avenir. Ce sage semble pourtant bien résigné. Andrić n’oublie à aucun instant que « le mal, le malheur et l’inquiétude parmi les hommes sont des choses stables et constantes et que rien n’y peut être changé : chaque pas que nous faisons nous mène à notre tombe», écrit Pasquale DELPECH.
Écrit pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’occupation allemande, ce roman est le récit d’un homme capturé, enfant, par les Ottomans dans son village de Sokolovici. C’est une loi de l’occupant turc que de venir régulièrement enlever des enfants bosniaques, les former à Constantinople, puis les destiner à des fonctions administratives dans le pays occupé. Devenu par la suite Vizir, sou le règne de Mehemet Pacha Sokolovic, l’otage n’a jamais oublié le convoi chargé de captifs qui l’avait conduit à Stamboul et a traversé une rivière au bord d’un bac «C’est l’endroit où le malheur devenait manifeste et évident, où l’homme est arrêté par les éléments les plus puissants», écrit Ivo ANDRIC. Devenu homme, il fit construire un pont en 1571, une sorte d’incarnation du cours de l’Histoire des hommes, aussi tumultueuse que le cours de la Drina «La vie est un prodige incompréhensible, car elle s’use, elle s’effrite, et pourtant dure et subsiste, inébranlable, comme le Pont de la Drina», écrit Ivo ANDRIC. Devant la montée du nationalisme, en raison des occupations étrangères successives, et à la suite de l’assassinat, le 28 juin 1914, de l’Archiduc François-Ferdinand d’Autriche (1863-1914) et de son épouse, Sophie Von HOHENBERG (1868-1914), à Sarajevo, cause de la Première Guerre mondiale, le «Pont sur la Drina», une fresque sur quatre siècles, est un lien rassemblant ce qui est séparé, un passage qui nous confronte à l’altérité : «Il était impossible que disparaissent tout à fait, et à jamais, les grands hommes, les grands esprits à l’âme noble qui érigent pour l’amour de Dieu des constructions appelées à durer, afin que la terre soit plus belle et que l’Homme y vive plus facilement et mieux. S’il n’y en avait plus, cela signifierait que l’amour de Dieu, lui aussi, s’était éteint et qu’il avait disparu de ce monde. C’était impossible», écrit Ivo ANDRIC.
Dans ce roman, digne des Mille et une Nuits, Ivo ANDRIC brosse une peinture de la diversité ethnique de la Bosnie, la méchanceté, les complots et intrigues, la ruse, la malédiction, les haines, les affinités, ainsi que les légendes semant la discorde. « Il y avait eu toujours des haines secrètes et des superstitions, de l’intolérance religieuse, une brutalité et une cruauté ancestrales, mais aussi de la noblesse d’âme et de la compassion, le sens de l’ordre et de la mesure, des sentiments qui maintenaient tous ces instincts et habitudes grossières dans les limites du supportable et, enfin de compte, arrivaient à les calmer et à les soumettre aux intérêts généraux de la vie commune», écrit Ivo ANDRIC. Les oppositions ou affrontements entre communautés sont parfois forts, mais aussi surprenants : «Dans cette lutte acharnée et étrange qui, en Bosnie, opposait depuis des siècles des communautés religieuses, et dont l’enjeu, sous couvert de religion, était la terre et le pouvoir, une certaine conception de la vie et de l’ordre des choses, les adversaires se disputaient non seulement des femmes, les chevaux et les armes, mais aussi les chansons. Et nombre de vers passaient ainsi d’un camp à l’autre, tel un précieux butin», écrit Ivo ANDRIC. Aussi,  le grotesque, la tragédie ou l’attendrissement sont au cœur de ce récit d’un grand conteur autour de personnage de l’histoire, avec un regard à la fois compatissant et cruel. «Le fossé qui sépare les différentes religions est si profond que seule la haine parvient à le franchir», écrit-il dans «Titanic et autres contes juifs de Bosnie». Ainsi, Radisav, dans le «Pont sur la Drina», est une figure de la résistance contre les Turcs, la Bosnie ayant été conquise par l’Empire ottoman. Alors que les habitants se mettent à l’ouvrage pour construire le pont, Radisav, entreprend des actes de sabotage et sera condamné à mourir empalé. Quelques siècles après, Ali Hodja, commerçant pacifiste, refusant de combattre l’armée austro-hongroise, les nouveaux conquérants de la Bosnie, est exécuté à son tour. Cependant, selon l’auteur, la mémoire du peuple ne garde rien «et ne raconte que ce qu’il peut comprendre et transformer en légende. Tout le reste glisse sur lui sans laisser de traces profondes, avec l’indifférence muette des phénomènes naturels anonymes, sans toucher son imagination ni se graver dans son souvenir», écrit Ivo ANDRIC.
Cependant, Ivo ANDRIC a fait l’éloge et l’utilité du pont : «De tout ce que l’Homme, dans ses impulsions vitales élève ou construit, il n’y a rien de meilleur qui à mes yeux, soit meilleur et plus utile que le pont. Appartenant à tous et le même pour chacun, élevé toujours avec réflexion à l’endroit où se rencontrent le plus grand nombre de besoins humains, il est le plus durable que toutes les autres constructions et n’est au service de rien qui soit secret ou mauvais. Partout, dans le monde, où que se passe ou s’arrête ma pensée, je rencontre, je rencontre des ponts fidèles et silencieux, comme l’éternel et toujours, insatiable désir des hommes, de se lier, de se rapprocher, de mettre en commun tout ce qui survient devant notre esprit, afin qu’il n’y ait pas de partage, d’opposition ou de séparation», écrit Ivo ANDRIC. En effet, issu d’un pays hautement multiculturel où cohabitent orthodoxes, musulmans, juifs et catholiques, «Le pont sur la Drina», est un pont métaphorique, un lien entre plusieurs peuples : «Une grande tendresse unit Ivo Andric aux hommes, mais il ne recule pas devant la description de l’horreur et de la violence ni devant ce qui, à ses yeux, apporte surtout la preuve de la réalité du mal dans la vie. Il ouvre, en quelque sorte, la chronique du monde à une page inconnue et s’adresse à nous du plus profond de l’âme tourmentée des peuples slaves du sud», dit le 10 décembre 1961, Anders OSTERLING, en lui remettant son prix Nobel.  En fait, le pont lie et sépare les rives tout à la fois. «Le tableau que je peins est noir, peut-être, jusque dans le sens allégorique qui s’y trouve. Mais quelqu'un a fait remarquer qu'il y avait toujours dans ce tableau un point lumineux qui suggère une issue», disait-il en 1961, au Figaro Littéraire. Les habitants, soumis à l’arbitraire impérial et aux haines ancestrales ainsi qu’à la superstition et la fatalité, sont condamnés à vivre ensemble. La fonction essentielle et symbolique du pont est d’unir, de rassembler un pays au reste du monde, de se libérer de la soumission et de la tutelle des autres «De nouveaux ponts, plus grands et plus solides, et ce ne sera plus pour relier des centres étrangers à des provinces assujetties, mais pour unir nos régions entre elles et notre État au reste du monde», écrit Ivo ANDRIC. En effet, l’auteur plaide pour une cohabitation paisible entre toutes les communautés. Les habitants Chrétiens, Juifs et Musulmans, différents, mais modelés par la ville et son ambiance incitant à un véritable art de vivre, à une grande mixité culturelle. «Et par un étrange contraste, on peut aussi bien dire que peu de pays ont tant de foi inébranlable et de sublime force de caractère, de tendresse et d’ardeur amoureuse, de la profondeur de sentiments, tant de fidélité et d’indéfectible dévouement et une telle soif de justice. Vous êtes condamnés à vivre sur d’épaisses couches d’explosifs qui s’enflamment de temps en temps aux étincelles de vos amours et de votre sensibilité ardente et cruelle», écrit Ivo ANDRIC.
En conteur, investi d’un sens profond de l’Histoire, Ivo ANDRIC a réitéré sa conception de l’art : «Ma patrie est en effet un «petit pays entre les mondes. La manière de conter et la forme du récit se plient au gré des époques et des circonstances, mais le goût de conter, de raconter, reste immuable et le conte coule indéfiniment et le récit ne tarit pas. Bien souvent, les paroles d'un bon conteur nous éclairent sur nos actes et nos omissions, sur ce qu'il faudrait faire, et sur ce qu'il ne fallait pas faire. De là, on en vient à se demander si ce n'est pas dans ces récits, oraux ou écrits, que se trouve la véritable histoire de l'humanité, et si l'on ne pourrait pas, sinon saisir du moins entrevoir, le sens de cette histoire», dit il et il a ajouté : «Un auteur se transporte de ce qu'on appelle le présent dans ce que nous disons être le passé, et qu'il franchit sans peine, comme en songe, le seuil des siècles. Être un homme, être né sans le savoir, sans l'avoir voulu, être jeté dans l'océan de l'existence. Être obligé de nager, d'exister. Porter une identité. Résister à la pression environnante, à tous les chocs, aux actes imprévisibles et imprévus – les nôtres et ceux d'autrui – qui si souvent dépassent nos forces. Et, au surplus, endurer sa propre pensée sur tout ceci. En un mot, être homme», dit-il en 1961.
 II – Ivo ANDRIC et son roman, «La chronique de Travnik».
«La Chronique de Travnik» est celle de la ville natale d’Ivo ANDRIC, une  époque où des consuls ont habité cette ville pendant huit années, soit de 1807 à 1814. C’est un roman psychologique, relate l’histoire de consuls de l'Orient, de vizirs avec leurs nombreux collaborateurs, d'autres d'Europe occidentale, des consuls français et autrichiens, avec leurs familles et leurs collaborateurs, dans un contexte d'incompréhensions interculturelles et de tensions religieuses. C’est un récit sur  un Empire ottoman, autoritaire et compromis, figé dans un temps immobile : les sollicitations de l’histoire viennent de l’extérieur, notamment de l’Occident. Au début du siècle du XIXe siècle, alors qu’un consul de Napoléon est venu s’y installer, le vizir ottoman ni la population ne comprendront jamais pourquoi, bientôt rejoints par un autre consul, envoyé lui par les Autrichiens. La petite ville de Travnik, résidence du vizir turc de la province occupée de Bosnie, devait resurgir entre octobre 1806 et mai 1814 de ces ténèbres, effleurée soudain par l’histoire européenne : Napoléon y ouvre un consulat. Pour ne pas lui laisser trop d’avance, l’Autriche l’imite. La population, peu préparée aux changements, désapprouve les nouveaux venus qui bousculent son train-train habituel. À Travnik, il y a donc les vizirs successifs de l’endroit. Il y a encore une population dominée qui n’a pas la maîtrise de ce qui se passe au-dessus d’elle, les empires, ici ottoman, napoléonien-premier, austro-hongrois. C’est donc une situation coloniale, dans laquelle, l’État napoléonien, un empire, envoie en terre étrangère un consul, une sorte d’anticipation de la situation coloniale. La chronique de Travnik est un puissant roman de protestation contre cette soumission «Je te ferai courber le dos, je refoulerai ton sang vers ton cœur, je te ferai baisser les yeux ; je ferai de toi une plante amère, poussant en un endroit venteux, dans un sol rocailleux. Et jamais plus non seulement ton miroir français, pas plus que les yeux de ta propre mère ne te reconnaîtront», écrit Ivo ANDRIC. L’auteur recommande aux dominés d’être dignes de la liberté conquise «On sait depuis longtemps qu’il n’est pas suffisant d’acquérir la liberté, mais beaucoup plus important de devenir de cette liberté», écrit-il.
Travnik est une ville multiculturelle, une rencontre en l’Occident et l’Orient, avec dominants et dominés, donc des malentendus, des colères et des souffrances : «Mélange ethnique et historique en même temps, embrouillamini de croyances et de coutumes diverses, croisement de mentalités et de consciences divergentes, le texte résume en quelque sorte les événements actuels», écrit Sophie DELPUECH. Aussi, la Bosnie, pays muet, maudit, voit resurgir la méchanceté et la malveillance, une fracture faite de frontières d’incompréhensions. Dans cette ville tout aussi terne et morne qu’explosive de Travnik, face à la résistance, «La peur change de nom et les soucis changent de forme. Et les vizirs se succèdent. L’Empire s’use. Travnik languit, mais son monde vit encore, comme le ver dans une pomme tombée», écrit Ivo ANDRIC. Les consuls sont des hommes de devoir et de fidélité à leurs États. Ils seront sept ans en enfer et puis ils s’en iront, et ce sera la victoire pour les autochtones. Cependant, la victoire est précaire, et les consuls reviendront mieux armés et organisés : «Le visage du vainqueur est comme la rose, mais le visage du vaincu est comme la terre du tombeau, dont chacun s’enfuit et se détourne», écrit Ivo ANDRIC. Entre vainqueurs et vaincus, l’alternance d’années paisibles, voire heureuses, et d’années de violence fait partie de l’histoire d’un peuple. Dans ce monde de ruses et de méchanceté, la manipulation occupe une bonne place «Il avait compris très tôt l’importance de la flatterie et de la force de l’intimidation, le poids que pouvait avoir, de façon générale, un mot agréable ou dur, dit au bon moment et au bon endroit», écrit Ivo ANDRIC.
Ivo ANDRIC a consacré l’essentiel de ses combats littéraires et de sa vie à jeter des ponts par-dessus ces haines ethniques et idéologiques qui, à intervalles réguliers, déchirent les Balkans. En dépit de la dramaturgie et des malentendus, Ivo ANDRIC est resté inspiré d’un pessimisme ensoleillé «À la fin des fins, tout ira bien, tout se terminera dans l’harmonie. Bien que tout ait l’air désaccordé, sans issue et terriblement compliqué, un jour, quels que soient les chemins que nous suivons aujourd’hui et quelles que soient les directions dans lesquelles nous errons, nous nous rencontrerons et nous nous comprendrons. Et ce sera une rencontre joyeuse, une surprise glorieuse et salutaire», écrit Ivo ANDRIC.
I – Références sur Ivo ANDRIC
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ANDRIC (Ivo), Chronique de Travnik, traduction de Michel Glouchevitch, introduction de Claude Aveline, Paris, Plon, Feux croisés, 1962, 418 pages ;
ANDRIC (Ivo), Contes au fil du temps, traduction de Jean Descat, Paris, Serpents à Plumes, 2005,  231 pages ;
ANDRIC (Ivo), Contes de la solitude, traduction de Pascale Delpech, Sylvie Skakic-Begic et Mauricette Begic, postface de Predrag Matvejevitch, Paris, Zulma, 2023, 208 pages ;
ANDRIC (Ivo), Inquiétudes, traduction de Ljiljana Huibner-Fuzellier et Raymond Fuzellier, Boulogne, éditions du Griot, 1993, 190 pages ;
ANDRIC (Ivo), L’éléphant du Vizir : récits de Bosnie et d’ailleurs, traduction de Janine Matillon, de Paris, Serpents à Plumes, 2002, 298 pages ;
ANDRIC (Ivo), La chronique de Belgrade, traduction et postface d’Alain Cappon, Genève, édition des Syrtes, 2023, 220 pages ;
ANDRIC (Ivo), La chronique de Travnik, traduction de Pascale Delpech, préface de Paul Garde, Paris, Belfond, 1997, 510 pages ;
ANDRIC (Ivo), La cour maudite, traduction de Georges Luciani, illustration de Robert Antoine, Paris, éditions Rombaldi, 1965, 263 pages ;
ANDRIC (Ivo), Le pont sur la Drina, traduction de Pascale Delpech, préface de Predag Matvejevitch, Paris, Belfond, 1994, 407 pages ;
ANDRIC (Ivo), Mademoiselle, traduction de Pascale Delpech, Paris, Robert Laffont, 1987, 211 pages ;
ANDRIC (Ivo), Omer Pacha Latas, traduction de Jean Descat, de Paris, Serpents à Plumes, 1999,  375 pages ;
ANDRIC (Ivo), Signe du bord du chemin, traduction d’Arita Wybrands, de Paris, L’Âge d’homme, 1997,  397 pages ;
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II – Autres références
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VUCINICH (Wayne, S.) éditeur, Ivo Androvic Revisited : The Bridge Still Stands, University of California at Berkley, 1995, 228 pages ;
WATTERWALD (Denis), «Que faire de la parole ?», Revue de l’Atelier du roman, décembre 2012, n°72, numéro spécial «Ivo Andric, pour ne pas oublier les Balkans», 116 pages, spéc pages 38-43.
YANKOVITCH (Paul), «Ivo Andrić est mort», Le Monde, 15 mars 1975.
Paris, le 6 juin 2024, par Amadou Bal BA -
«Ivo ANDRIC (1892-1975), prix Nobel de littérature, poète, nouvelliste, historien et romancier, ses livres : Le Pont sur la Drina, la Chronique de Travnik» par Amadou Bal BA –
«Ivo ANDRIC (1892-1975), prix Nobel de littérature, poète, nouvelliste, historien et romancier, ses livres : Le Pont sur la Drina, la Chronique de Travnik» par Amadou Bal BA –
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31 mai 2024 5 31 /05 /mai /2024 14:22
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
Awa THIAM, née le 30 avril 1950, à Dakar, au Sénégal, a soutenu, en 1981, une thèse de doctorat, Paris, Panthéon-Sorbonne, sur «Le Noir et ses stéréotypes : recherche sur la notion de continent noir appliquée à la Femme et à l’Afrique». Anthropologue, philosophe, enseignante et cheffe du laboratoire d’anthropologie, à l’Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN), à l’Université Cheikh Anta DIOP, à Dakar, Awa THIAM a conduit des recherches, entre 1981 et 2015, notamment sur les Femmes et institutions, les sociétés en mutation du côté des femmes, la non-reproduction des sociétés androcentriques, le genre et le sexe selon les époques et les aires culturelles et les conditions de vie matérielle, sociale et morale des femmes réfugiées de la Moyenne vallée du fleuve Sénégal. Étudiante à Paris, Awa THIAM a été membre du centre d’échange et de rencontre des femmes africaines, C.E.R.F.A, fondé en 1982, implanté à Paris, présidé par Nantenin KONATE, épouse de Chérif HAIDARA, dite Nantou, Secrétaire à Paris, ancienne ministre coordinatrice nationale du PRG et députée en Guinée sous le président Alpha CONDE, une association de femmes africaines. Le CERFA, soutenu par Yvette ROUDY, une ancienne ministre socialiste et militante des droits de la femme, avait un objectif de promotion de femmes africaines, de résolution leurs problèmes de formation, de santé, de loisirs et visait le développement de la solidarité avec les femmes en Afrique, avec un accompagnement social (stages et formations, alphabétisation, permanences juridiques). Auparavant, elle avait créé une Coordination de femmes noires en collaboration avec Sarah KALA-LOBE KUTA, psychologue clinicienne du Cameron, fille d’Iwé KALA-LOBE (1917-1991) et Lydie DOOH-BUNYA (1933-2020), journaliste et femmes de Lettres camerounaise et fondatrice, en 1981, du mouvement pour la défense des droits de la femme noire (MODEFEN), sur les thématiques de lutte contre l’excision, la polygamie et le mariage forcé, ainsi que contre le racisme ordinaire. «Si nous avons estimé de fonder notre association, c’est parce qu’à ce moment-là, à notre connaissance, il n’existait pas d’organisation spécifique prenant en charge les problèmes spécifiques des femmes de culture noire. Il y avait des associations de travailleurs immigrés où ne se trouvaient presque des hommes. Le mouvement féministe français avait la revendication d’égal salaire, mais qui ne visait pas les femmes noires spécifiquement, parce que souvent, à l’époque, elles ne travaillaient pas. Les revendications des féministes françaises du droit à disposer de son corps, peut inclure le problème de l’excision. Nous pouvions avoir d’autres questions qui concernent, spécifiquement, les femmes noires : le racisme dans le travail, le logement ou à l’école, lorsque nos enfants sont assassinés, car il est arrivé qu’on tue un enfant, parce qu’il est noir ou maghrébin. Voilà pourquoi, il est essentiel que nous, femmes noires, nous ne soyons pas des wagons attelés aux revendications des autres, mais que nous aussi nous disions tout haut ce qui nous opprime et ce que nous attendons des autres. Dans l’esprit de certains la femme doit être soumise. La femme noire comme objet sexuel. Les publicistes français s’étaient servis du corps d’une femme noire comme un guéridon, où était posée une coupe de champagne», dit, en 1990, Lydie DOOH-BUNYA, à Philippe DEWITTE. Récipiendaire, en 1985, de la médaille des droits de la femme de la part de l’État français, Awa THIAM fut nommée, en 2005, sous maître Abdoulaye WADE, Directrice du Centre national d’assistance et de formation des femmes (CENAF), des structures dépendantes du Ministère de la Femme et de la famille du Sénégal.
Awa THIAM, face à la complexité des choses, pionnière du féminisme africain, a eu la grande originalité d’introduire l’intersectionnalité une démarche en vue de rendre compte de la pluralité des discriminations, de l’invisibilité des femmes noires, fondée sur la classe, le sexe et la race. Par conséquent, l’intersectionnalité vise à rendre compte de du racisme et des oppressions dont sont l’objet les femmes noires, des éléments occultés dans le féminisme occidental, ethnocentrique, uniquement centré sur la soumission. Les concepts de «sororité» ou de «Sister Hood», de classe d’âge, sont parfois ambigus et ne rendent pas souvent compte de la spécificité de la lutte des femmes racisées, en termes de justice sociale et pour un féminisme véritablement inclusif.  Suivant Bell HOOKS, la sororité à laquelle les féministes bourgeoises occidentales aspiraient était, de fait, fondée sur une sororité superficielle, romantique et idéalisée, centrée sur une «oppression commune» et occultant les clivages et les différences entre les femmes, ainsi que sur une victimisation commune dans laquelle la domination patriarcale était perçue comme l’unique obstacle à l’égalité entre les sexes. En effet, confrontées à une société sexiste, misogyne et raciste qui leur impose des images stigmatisantes d’elles-mêmes, les femmes noires des États-Unis n’en ont pas moins une longue tradition de résistance. En particulier, l’intersectionnalité est une  démarche  inspirée de Kimberlé CRENSHAW, une afro-américaine, féministe, professeure de droit à Columbia Law School et spécialiste de la théorie critique de la race, professeure émérite à UCLA. «Des formes combinées de domination, renvoyant à des problématiques, structurent la lutte des femmes en termes de discriminations et donc de nouveaux droits à conquérir. C’est un outil pour mieux repérer les discriminations sexistes et racistes, qui imbriquées et invisibles, augmentent l’injustice sociale. Ce n’est pas un outil identitaire, mais un moyen de révéler des vulnérabilités. Ce concept s’applique aux femmes de couleur de toutes origines, à l’extérieur comme au sein du féminisme et de l’antiracisme, et concerne de multiples autres formes de discriminations», écrit Kimberlé CRENSHAW.
Si on assiste maintenant à un regain, à un grand intérêt pour les études africaines sur le féminisme, en termes de militantisme, de lutte, c’est qu’auparavant, des écrivaines avaient labouré ce terrain aride, hostile de la misogynie, du patriarcat et donc de la domination masculine. Bien qu’elle soit restée discrète, invisibilisée, avec une réception contrastée de son roman, et donc peu reconnue, notre Awa THIAM, une éminente femme de Lettres sénégalaise, devrait sortir de ce Purgatoire. En effet Awa THIAM, une grande dame des Lettres africaine, fait partie de ce qui font du Sénégal un Grand petit pays et a réclamé très tôt, l’égalité des droits. Awa THIAM, bien avant Mariama BA (Voir mon article, 3 juin 2023) est la première à s’insurger contre le système visant à mettre les Femmes sous tutelle, et les a invitées à prendre la parole, comme la Grande Royale de Cheikh Hamidou KANE : «Prise, réappropriation ou restitution de la parole ? Longtemps les Négresses se sont tues. N’est-il pas temps qu’elles (re)découvrent leurs voix, qu’elles prennent ou reprennent la parole, ne serait-ce que pour dire qu’elles existent, qu’elles sont des êtres humains, en tant que tels, elles ont droit à la liberté, au respect, à la dignité ? Les Négresses ont-elles déjà pris la parole ? Se sont-elles déjà faites entendre ? Oui, quelquefois, mais toujours avec la bénédiction des mâles. Leur parole n’avait rien alors d’une parole de femme. Elle ne disait pas la femme. Elle ne disait ni ses luttes ni ses problèmes fondamentaux. Les femmes ont à se réapproprier la parole, la vraie», écrit Awa THIAM, dans «La parole aux Négresses». En 2014, Awa THIAM a abordé, dans un autre ouvrage, la question épineuse de la sexualité féminine africaine et a eu «l’immense mérite de traiter courageusement un sujet tabou au Sénégal : les mutilations sexuelles féminines (excision et infibulation). Le blanchiment de la peau des femmes, le port des perruques, même en période de grande chaleur ne trouble pas outre mesure les hommes. Par contre, demander l’abolition des mutilations sexuelles est un grand scandale», écrit Amady Aly DIENG, dans la préface de «La sexualité féminine africaine en mutation». Awa THIAM a donc tenu à dénoncer les mutilations sexuelles, ces coutumes d’un autre âge «Tout se passe si, depuis toujours, il y avait en permanence, au niveau des intentions : permanence de la volonté des hommes de se rendre maître du corps des femmes ; comme s’il existait une vérité selon laquelle «celui qui tient la femme tient la société», et, par voie de conséquence, qui protège la femme, protège la société. Tenir la femme revient alors à la tenir par le lieu où s’assure encore aujourd’hui la reproduction biologique. La préserver de tout désordre social, c’est la préserver de tout désordre sexuel», écrit Awa THIAM.
Dans un Sénégal, 18 ans après l’indépendance, musulman, conservateur et corseté, Awa THIAM a eu l’audace, en 1978, d’aborder les questions, jugées provocatrices et taboues, de polygamie, la répudiation, le blanchiment de la peau, les grossesses précoces de marquage du corps, les scarifications, les mutilations sexuelles féminines, l'habillement, la coiffure, la contraception, de l'avortement, mais aussi de la sexualité féminine. «La domination masculine est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne l’apercevons plus, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question», écrit Pierre BOURDIEU, dans «La domination masculine». En effet, Awa THIAM, anthropologue, de la gauche radicale, dans la trempe de Bell HOOKS et d’Angela DAVIS, dans une démarche intersectionnelle, une perspective de classe, de race, de sexe, est une écrivaine de la dénonciation des oppressions et de la marginalisation des femmes noires de la femme. En particulier, Awa THIAM a montré comment le patriarcat, le racisme et le capitalisme ont divisé des causes qui auraient pu être communes. Preuve que c’est en surmontant les clivages de genre, de race, de classe, et en brisant les fausses mythologies, que les femmes pourront le mieux se libérer des oppressions. « Lutter, c’est se battre avec résolution et foi dans une victoire certaine, comme la promesse d’un bonheur prochain et sûr, que l’on vivra ou que d’autres vivront. Donc lutter avec la ferme conviction qu’il y aura un aboutissement positif, en notre présence ou en notre absence», écrit Awa THIAM.
La première édition de 1978, préfacée par Benoîte GROULT, avait complètement disparu de la circulation, mais a été traduite, en 1986, en langue anglaise, mais aussi en allemand et en italien. «Ce n’est pas en tant qu’écrivaine que je voulais dire quelques mots du livre d’Awa Thiam. C’est en  tant que femme tout simplement. (…). Dans de nombreux pays, il s’est trouvé des hommes pour dénoncer les méthodes répressives et les abus de pouvoir. Mais curieusement, quand ils s’exercent sur des femmes, citoyennes de seconde zone, on jette un voile pudique sur la réalité. Or, la Justice ne descend pas du ciel. Chaque liberté, chaque droit a dû être arraché. (…). Les témoignages que vous allez lire ne constituent pas un manifeste, n’expriment pas une révolte, ni même une revendication. Ce sont des confidences toutes simples qu’Awa Thiam a su recueillir dans leur naïveté, leur maladresse parfois et dont le ton pathétique vient de cette résignation à un sort qui est considéré comme une fatalité de la condition féminine. (…) Les Négresses qui s’expriment ici n’ont pas conscience de l’injustice et n’ont pas encore découvert la solidarité et l’espoir. (…). Elles parlent, mais elles n’accusent pas», écrit Benoîte GROULT. Mame-Fatou NIANG, dans la préface de l’édition de 2024, s’insurge contre cette interprétation fataliste «Quelle surdité que de refuser d’y entendre la révolte, quel aveuglement que de n’y déceler ni volonté, ni autonomie. Militante infatigable de la cause féminine, Benoîte Groult s’est particulièrement distinguée dans la lutte contre les mutilations sexuelles. Pourtant, tout à son en train de dénoncer l’arriérisme des sociétés africaines, elle passera à côté de ton analyse des mutilations génitales, et des imbrications coloniales, puis néocoloniales du sexisme, du patriarcat, de la classe et du racisme. (…) Tata, l’universitaire, en moi, ne peut que relever les hiérarchies à l’œuvre dans le déni de ton autorité scientifique», écrit Mame-Fatou DIOP.
Une des grandes originalités de ce roman d’Awa THIAM, une pionnière, c’est une succession de témoignages de femmes africaines, leurs mots, mais aussi leurs combats, de nouvelles perspectives, très loin de la résignation. Cette prise de parole des femmes africaines est d’autant plus importante qu’elles  ont été écartées pendant des siècles de tout pouvoir de décision, et simplement «réduites à leurs fonctions reproductrices et astreintes aux travaux domestiques et agricoles», écrit Awa THIAM. En effet, Awa THIAM, se démarquant du discours des féministes de l’Occident, souligne l’importance de la prise de parole par les femmes africaines en vue de faire entendre les réalités de leur vécu et de mettre au jour les maux dont elles souffrent. Mettre des mots derrière la chose, c’est un début c’est un signe d’encouragement à s’engager dans la lutte contre l’asservissement. Aussi, Awa THIAM incite ses sœurs africaines à une prise de conscience, par la parole, à briser la glace : «Prendre la parole pour faire face, pour dire son refus, sa révolte. Prendre la parole agissante. Parole-action. Parole subversive. Agir-agir-agir, en liant la pratique théorique, à la pratique-pratique», écrit Awa THIAM. Ainsi, Yacine, après 18 ans de mariage, deux enfants et enceinte d’un troisième enfant, apprend un soir, vers 23 h, que son mari a une seconde épouse et qu’elle doit lui céder le lit. Médina, fille sage et traditionaliste, est mariée à un cousin faisant des études en Arabie-Saoudite, contre son gré et en l’absence de son époux. Mais Médina va tomber amoureuse d’un étudiant à l’université de Dakar, Demba, mais se mariera vierge, pour divorcer par la suite. Tabara mariée à 16 ans, avec quatre enfants, découvre que son mari, un garde forestier, avait pris une maîtresse. Après un divorce, elle découvre que son troisième mari est impuissant. Tabara, dépitée de ces hommes considérant les femmes comme des objets, n’a plus envie de remarier, et s’adonne à la lecture. Finalement,  le féminisme africain, loin des clichés de l’Occident, ces femmes ont osé briser le silence et ont pris la parole pour se révolter contre l’injustice dont elles souffrent. En raison de la triple oppression par le sexe, la classe et la race, invisibilisées les Africaines, ont mis les mots sur ce qu’elles endurent : «La solution du problème des femmes sera collective et internationale. Le changement de leur statut sera à ce prix ou ne sera pas», écrit Awa THIAM.  Bernard MOURALIS estime que c’est «La parole aux Négresses», un ouvrage transgressif qui a brisé le tabou des silences, de la souffrance des femmes, à travers leurs témoignages, au regard de la polygamie, des mutilations sexuelles avec la douleur, l’angoisse et la haine, en raison de la brutalité de ces sévices. C’est une œuvre littéraire, mais qui témoigne aussi d’un engagement politique d’Awa THIAM. «La Parole aux Négresses» d’Awa Thiam est un premier acte posé dans l’émergence et l’évolution de la pensée féministe africaine. Une relecture de cet ouvrage s’impose au moment où le débat sur le féminisme gagne en acuité. Ce recueil de textes et de témoignages rend compte du vécu des «Négro-africaines à travers l’histoire». L’auteure se fait l’écho de la voix des femmes d’Afrique subsaharienne, pour qu’elles puissent partager le récit de leurs conditions de vie. Longtemps contraintes au silence, les «Négresses» prennent la parole pour dire qu’elles existent», écrit Coudy KANE, en 2021, dans un article «La parole aux Négresses, d’Awa Thiam, une relecture d’une œuvre pionnière du féminisme africain».
Le combat d’Awa THIAM est hautement d’une actualité brûlante. La polygamie loin de disparaître au Sénégal, même dans les pays non musulmans de l’Afrique, le père de Nelson MANDELA, comme celui du catholique Léopold Sédar SENGHOR, ou de l’écrivain congolais, Alain MABANCKOU, était un polygame «Les origines lointaines de la polygamie restent mal établies dans l’esprit des Africains. Institution léguée par les ancêtres, elle a acquis une force de tradition séculaire. Il semble cependant que le régime économique et social de l’esclavage l’ait indéniablement favorisée. La famille constituait une entité forte ayant ses biens communs : terre, produits des champs collectifs, bétail, armes de guerre et de chasse, bandes de cotonnades, esclaves, etc. Sa responsabilité était collective en tout. C’était une personne morale. Le mariage liant deux individus formait un véritable contrat entre deux groupes. On tente de justifier la polygamie par la luxure, des raisons économiques, le désir universel de procréation. Les Africains eux-mêmes font appel à l’Islam, mais la polygamie est préislamique», écrit, en 1947, Madeira KEITA. Bien que l’Islam ait limité, en polygamie, le nombre d’épouses à quatre, notre amie, écrivaine et militante des droits de la femme, Ken Bugul M’BAYE, dit avoir été la 33ème épouse d’un guide religieux (voir mon article, Ferloo, 3 novembre 2017). «Les problèmes dont souffrent les femmes noires sont multiples. Tous les problèmes féminins, au fond, se recoupent. Elles ont en commun leur condition d’être exploitée et opprimée par le système phallocratique. (…) Alors que des femmes des pays industrialisés concentrent leurs efforts entre autres sur la recherche et la création d’un discours typiquement féminin, l’Afrique noire et ses filles en sont, elles, au stade de la recherche de leur dignité, de la recherche de leur spécificité d’êtres humains», écrit Awa THIAM, «La parole aux Négresses».
Benoîte GROULT (1920-2016), journaliste, romance, féministe, préfacière de la première édition de 1978, «La parole aux Négresses», rappelait dans son livre, «Ainsi soient-elles», que le combat pour la libération de la Femme est celui de chaque instant, et qu’il ne faudrait jamais s’assoupir. Il est toujours possible de revenir en arrière, au servage, comme c’est le cas actuellement au Sénégal, mais aussi en France en raison d’une négrophobie et d’une islamophobie instrumentalisées par les forces du Chaos «Si elles ne défendent pas elles-mêmes les droits conquis par leurs mères, personne ne le fera pour elles. Rien n’est plus précaire que le droit des femmes. Il n’est jamais trop tard pour lire un livre féministe. Et Virginia Woolf, qui a dénoncé avec tant de subtilité et d'humour l'hégémonie implacable du mâle, restait pour moi une simple romancière. Il faut guérir d'être une femme. Non pas d'être née femme, mais d'avoir été élevée comme femme dans un univers d'hommes, d'avoir vécu chaque étape et chaque acte de notre vie avec les yeux des hommes, selon les critères des hommes. Et ce n'est pas en continuant à lire les livres des hommes, à écouter ce qu'ils disent en notre nom ou pour notre bien depuis tant de siècles que nous pourrons guérir», écrit Benoîte GROULT.
En particulier, à la suite de l’alternance dite de «rupture » du 24 mars 2024, censé faire table rase de l’ordre ancien, on découvre, médusés, que le Chef de l’État, Bassirou Diomaye FAYE, comme son Premier ministre, Ousmane SONKO, sont des polygames. Le plus surprenant, dans cette prétention de «rupture», c’est que les premières nominations notamment au sein de l’équipe gouvernementale, très masculine, trois femmes sur une équipe de 25 ministres (voir mon article, Médiapart, 6 avril 2024), comme au sein de la haute administration (voir mon article), sont le triomphe du patriarcat, et donc une grave marginalisation des Femmes. Où est donc la rupture ? Ce qui m’a plus étonné, c’est le silence d’une bonne partie des organisations dites féministes, ou des intellectuels prétendus féministes, dans une constante indignation, très sélective et bien orientée. J’en appelle à nos autorités publiques pour réparer cette grave injustice à l’égard des Femmes sénégalaises.
Dans sa thèse, «Les Noirs et les stéréotypes», Awa THIAM, une féministe, a dénoncé de nombreux stéréotypes, idées reprises dans son livre, «Continents noirs», dont le chapitre 1er traite de cette question. Le terme «Noir» est chargé d’une connotation péjorative et dévalorisante ; ce sont des signes et stéréotypes, des mécanismes qui ont cautionné des œuvres de mort, légitimé la domestication d’êtres humains, le racisme, le sexisme, mais aussi la colonisation : «Mot, le noir est l'expression phonique d'une représentation mentale. Le concept noir est la représentation mentale d'un état, d'un fait reconnu obscur, sans radiation ; ce qui est représenté est la dénotation ou l'état d'obscurité, telle que la nuit. Le noir, en tant que concept ainsi défini, est connoté : il évoque non seulement la «couleur», mais aussi des caractéristiques typiquement humaines : une âme noire, un regard noir, le travail au noir, de l'humour noir, cette femme «noire». Le «Noir» a des connotations. C'est ainsi que le blanc peut être perçu en Occident comme le symbole de la pureté, de l’innocence, de la douceur, de la paix, de la tendresse, comme c’est le cas, avec la colombe. Le noir, dans son opposition au blanc, est tout le contraire de ces connotations», écrit Awa THIAM, dans «Continents noirs». MONTESQUIEU avait ironisé sur ces préjugés tenaces et répandus en son temps : «On ne peut se mettre dans l'idée que Dieu, qui est un être très sage, a mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir», écrivait-il, dans «l’Esprit des lois». Jean-Paul SARTRE, toujours sous le trait de l’humour noir, disait les stéréotypes du Blanc par opposition au noir : «L'homme blanc, blanc parce qu'il était homme, blanc comme le jour, blanc comme la vérité, blanc comme la vertu, éclairait la création comme une torche dévoilait l'essence secrète et blanche des êtres», écrit-il dans «Orphée noir». Aimé CESAIRE a résumé toute la dramaturgie de ces stigmates que porte le Noir, homme dit de couleur, alors que le Blanc ne l’est pas ; la couleur est donc non pas une convention linguistique, mais est relative à une appartenance raciale avec ses préjugés, un homme sous-humanisé : «Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié, mon état : révolté ; mon âge : l'âge de la pierre», écrit-il dans «Si les chiens se taisaient».
Cependant, loin d’être dogmatique, Awa THIAM un esprit critique à la recherche constamment de la Vérité, bien qu’étant anticoloniale dans son féminisme, situe ses recherches dans le domaine de la complexité ; les choses sont loin d’être simples : «Beaucoup d'études ont été faites par des Nègres relativement à l'idéologie du Noir, quoiqu'elles ne portent pas ce titre, et n'en ont pas traité sous le même angle que le mien. Elles étaient presque toujours des réactions à l'idéologie raciste anti-«Noir» ou antinégrisme. J'aimerais faire une mise en garde. Ceux et celles qui s'attendent à une accusation pure et simple de l'Occident peuvent se passer du chapitre traitant plus spécifiquement de l'idéologie du noir. Le problème est assez complexe et ne peut se résoudre en un procès ou en un jugement expéditif. Il ne sera donc question ni de procès ni de jugement. Comprendre et dépasser, telle est la tâche que je me suis fixée ici. Tout se passe comme si elle était prise dans un filet : celui de l'idéologie du sexe, non pas faible, mais affaibli. En d'autres termes, une idéologie asservissante de la femme. Et cela, qu’elle en soit consciente ou non.», écrit Awa THIAM dans «Continents noirs». En effet, Awa THIAM ne se limite pas à la question de la couleur, elle conduit sa recherche en termes de sexe, de classe et de colonialité. Awa THIAM passe en revue les théories de Sigmund FREUD, un être inférieur ou infériorisé, parce que mutilée, sans pénis, et les déclare inopérationnelles en Afrique. En effet, pour le père de la psychanalyse «Le fait d'être consciente de n'être pas pourvue de pénis crée chez la femme une envie de pénis doublée d'un complexe de castration, ce qui, toujours selon lui, rend la femme inférieure. L'énigme réside dans le passage de l'état de «petite-fille-garçon» à celui de femme», écrit Sigmund FREUD, dans «Sexualité et pouvoir». Aussi, Awa THIAM s’insurge contre ces théories freudiennes, une méconnaissance fondamentale des réalités africaines. FREUD reste marqué par la culture patriarcale, avec une volonté consciente ou inconsciente de dominer, d’asservir : «Le continent noir n'est donc pas ce qui désigne une globalité sous une catégorie : les femmes et leur sexualité ; il est la marque d'une méconnaissance chez l'auteur. En Freud, le continent noir c'est d'avoir appelé le continent noir ce qui, chez la femme, lui échappait, lui était insaisissable. C'est la faille à partir de laquelle il lui est impossible d'accéder à la lumière. C'est l'aveu d'une impossibilité d'aller au-delà de l'obscurité, de ce qui se présente au niveau de l'intellect comme une frontière infranchissable. Dire d'un thème que c'est un continent noir, c'est en quelque sorte dire qu'on ne peut dépasser ce qu'on en a déjà dit », écrit Awa THIAM, dans «Continents noirs». La théorie «devenir-femme» de FREUD pose comme exigence la référence à l’enfance comme condition de la compréhension de la femme, un attachement à la mère et un combat, pour le garçon, contre le père, l’envie d’un parricide, contre un rival qu’est le père, un complexe d’Œdipe. C’est là aussi une culture patriarcale avec ses préjugés raciaux. Sigmund FREUD ne connaît que la culture occidentale avec ses familles nucléaires, une différence fondamentale avec l’Afrique «La famille négro-africaine traditionnelle est polynucléaire. En Afrique, animistes, chrétiens et musulmans pratiquent la polygamie. Et cela non pas en créant avec chacune de leurs épouses un foyer individuel, mais en les faisant cohabiter dans une concession. L'enfant négro-africain n'évolue pas entre un père et une mère, ou leurs substituts respectifs, comme c'est le cas pour l'Européen. Il demeure non seulement avec ses père et mère, mais encore avec d'autres membres de sa famille, sa famille élargie. Il n'est pas rare que, dans ce vaste ensemble, l'enfant ne connaisse ni son père ni sa mère. Tout se passe alors pour lui comme s'il avait des pères et des mères. Mais, pour ce faire, une ambiance de communion d’amour», écrit Awa THIAM, dans «Combats noirs».
Dans son ouvrage, «Combats noirs», Awa THIAM relate, avec humour, cette question d’un Occidental à une femme noire «Pourquoi avez-vous beaucoup d’enfants, alors que vous êtes pauvre ?». Réponse de la femme noire, «J’ai beaucoup d’enfants parce que je suis pauvre. Nuance !». D’autres chercheurs, dans la mouvance d’Awa THIAM ont dénoncé les préjugés tenaces dont sont victimes les Africains, avec nuance et clairvoyance, dans des situations complexes. Tous les Africains seraient-ils des polygames ? La croissance en démographie et le déséquilibre dans le marché matrimonial, l’absence d’autonomie financière des femmes ont favorisé la polygamie, un phénomène encore important, mais en régression ; ce qui ne signifie nullement l’amélioration de la condition des femmes «Si la polygamie est fréquente en Afrique, tous les Africains ne sont pas pour autant polygames. La pratique du lévirat a beaucoup reculé et ce recul a contribué à une expansion du taux de femmes, chefs de ménage, en milieu rural. Et l'instabilité matrimoniale apparaît comme la réponse des femmes à la polygamie masculine: résidences séparées, divorces lors de la prise d'une deuxième épouse. La polygamie régresse plus dans les pays anglophones que dans la sphère francophone, et plus souvent en ville que dans les campagnes. Les pays les moins touchés (Kenya, Ghana) enregistrent une chute de la pratique alors que Mali et Sénégal restent stables. Inscrite dans un système de normes aujourd'hui ouvertement remis en question, elle a reflué plus ou moins facilement là où le besoin de main-d’œuvre féminine est moindre», écrivent Georges COURADES et Christine TICHET, dans «Les Africains sont tous des polygames».
Toutes les Africaines seraient-elles soumises ? «Trois figures semblent s'imposer pour qualifier 1a femme africaine: la mère nourricière, productrice et reproductrice, pilier de la société dans un monde incertain, l'épouse soumise et contrôlée1 dans l'univers hyper masculin de pouvoir et de désirs de la société traditionnelle, enfin, la femme active, jouant sur différents registres pour tirer son épingle du jeu et réussir », écrit Pierre JANIN dans «Les Africains sont soumises». Le pouvoir colonial a favorisé les formes les plus abouties de subordination féminine. Cependant, différents signes attestent un combat des Africaines vers l’autonomie. Certaines s’émancipent pour devenir cheffes d’entreprise ou luttent contre les abus dont elles sont victimes.  Certains clichés exhibent l’idée que la femme africaine, méprisée et exploitée, violentée, ne serait qu’une bête de somme pour assouvir les plaisirs sexuels de son mari. Les Africaines font-elles trop d’enfants ? «Avoir de nombreux enfants constitue encore un signe de richesse dans les familles africaines. C'est que l'Afrique subsaharienne présente aujourd'hui la fécondité la plus élevée du monde, avec près de six enfants par femme en moyenne, deux fois plus que la moyenne mondiale. Le recul progressif de la mortalité a déclenché la croissance démographique avant que l'amélioration des conditions de vie et la survie croissante des enfants. Le véritable défi du XXIe siècle ne réside pas dans l'explosion démographique du sous-continent, mais dans la recherche d'une croissance économique mondiale plus équitable. Se focaliser sur l'accroissement, c'est oublier un effet plus grave à long terme de la brutalité de la transition sur la structure de la population: celui du vieillissement se posera en des termes bien plus alarmants qu'en Occident», écrivent Georges GOURAD et Christine TICHIT, dans «Les Africaines font trop d’enfants : une bombe démographique en puissance».
Awa THIAM a, constamment, dans ses écrits, témoigné de son engagement pour l’Afrique et en particulier pour les femmes, «Pourquoi un tel sujet ? Sans doute, est-ce aujourd'hui sinon indispensable, du moins nécessaire d'être de la race dite noire et du sexe féminin pour éprouver le désir de le traiter. Négresse, je me sens concernée par tout ce qui se dit et se fait des humains, des femmes, des Négre(sse)s. Mais, pourquoi un intérêt pour la notion de continent noir ? Tout simplement parce que non seulement elle renvoie a toute une idéologie de la noirceur», écrit-elle dans «Continents noirs». D’une double culture, africaine et occidentale, Awa THIAM se penche sur la culture avec laquelle elle est étrangère, «une idéologie de la non-reconnaissance, de phallocratie et d’antinégrisme», écrit-elle. Awa THIAM est donc, dans son féminisme, radicalement anticoloniale «Traiter ici du noir et de la notion de continent noir est une tentative pour démonter les mécanismes d'une idéologie, celle-là même qui a cautionné des œuvres de mort, légitime la domestication d'hommes, décreté arbitrairement des interdits et des permissivites. À la femme, de quelque «race» qu'elle soit, aux Négresses, elle a assigné une place. Il s'agit de l'idéologie du Noir : ayant trait aux choses, elle s'appelle idéologie de non-connaissance, aux femmes, phallocratie et aux Négresses, antinégrisme», écrit Awa THIAM, dans «Continents noirs». Pour l’auteure, la femme n’est pas un mystère, c’est un préjugé des hommes, «La femme : être humain, elle partage son humanité avec l'homme. Cependant, elle est différente de l'homme, non seulement parce qu'elle a le pouvoir de donner la Vie, cela est évident, et je ne débattrai pas ici de qui est premier, de l'œuf ou de la poule, mais aussi parce qu'elle évolue dans une conception de la vie autre que celle de l'homme C'est semble-t-il (ou justement), la raison pour laquelle elle incarne aux yeux de l'homme un certain mystère», écrit Awa THIAM. Dans les préjugés, les Africains seraient tous des polygames, les Africaines sont soumises, les Africaines feraient toutes trop d’enfants et c’est une bombe à retardement, les Africaines sont soumises.
Dans «Migration», c’est une histoire sordide d’une caisse remplie de têtes coupées, et au cours de ce voyage, une femme en souffrance aiguë, une mine contrite, prostrée. Ses vêtements laissaient percevoir des taches de sang. Le chauffeur s’arrêta. On s’aperçut que cette femme avait un nouveau-né, déjà mort. Faudrait-il dénoncer cet infanticide ? Il est bien question dans ce roman,  de voyage métaphorique au sein de la souffrance des femmes, de violences conjugales, de résilience,  de l’héroïsme au quotidien, de l’exode rural, de la sècheresse et de la pauvreté. Femme enceinte, la parturiente d’origine modeste dont le mari est émigré, l’héroïne du roman, s’était aventurée loin de son village, pour chercher du bois mort et des feuilles comestibles pour faire la cuisine. C’est une femme «à cœur d’homme» menant une vie endurante.
Références bibliographiques
I – Contributions d’Awa THIAM
THIAM (Awa), La parole aux Négresses, préface de N’Dèye Fatou KANE, postface de Kani DIOP, Dakar, Saaraba, 2024, 200 pages ;
THIAM (Awa), La parole aux Négresses, Paris, 1ère édition chez Denoël-Gonthier, 1978 avec une préface de Benoîte GROULT, seconde édition chez Divergences, avec une préface de Mame-Fatou NIANG, 2024, 205 pages ;
THIAM (Awa), Black Sisters Speak out ; Feminism and Oppression in Black Africa, traduction de Dorothy S. Blair, préface de Benoîte GROULT, Boulder, Colorado, Londres, Pluto Press, 1986, 136 pages ;
THIAM (Awa), La sexualité féminine africaine en mutation : l’exemple du Sénégal, préface d’Amady Aly DIENG, Paris, Harmattan, 2015, 199 pages ;
THIAM (N’Dèye, Awa), Le Noir et ses stéréotypes : recherche sur la notion de continent noir appliquée à la Femme et à l’Afrique, thèse sous la direction d’Olivier Reynault-d’Allones, Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 1981, 230 pages ;
THIAM (Awa), Récit d’une migration, Ivry-sur-Seine, Panafrica-Silex-Nouvelles du Sud, 2016, 142 pages ;
THIAM (Awa), Continents noirs, Paris, éditions Tierce, 1987, 223 pages, spéc sur, «La femme continent noir», pages 59-110 ;
THIAM (Awa), «Women’s Fight for the Abolition of Sexual Mutilations», International Social Science Journal, 1983, Vol 35, n°4, pages 747-756.
II – Autres références
ABD AR RAZIQ (Ahmad), La Femme au temps des Mamelouks en Égypte, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, 1973, 328 pages ;
AMINA (Mama), Études par les femmes et études sur les femmes en Afrique durant les années 1990, Dakar, CODESRIA, 1997, 131 pages ;
BA (Amadou, Bal), «Aoua KEITA (1912-1980), une militante malienne féministe et indépendantiste», Médiapart, 28 août 2021 ;
BA (Amadou, Bal), «Ken Bugul, Mariétou M’BAYE, une écrivaine féministe», Overblog, 31 octobre 2017, Ferloo, 3 novembre 2017 ;
BA (Amadou, Bal), «Mariama BA et sa Si longue lettre», Médiapart, 3 juin 2023 ;
BA (Amadou, Bal), «Ousmane SONKO, premier gouvernement masculin, dominé par le PASTEF», Médiapart, 6 avril 2024 ;
BA (Amadou, Bal), «Sénégal : Nominations de 17 directeurs. Les Femmes et les Peuls ont été ostracisés», Médiapart, 25 avril 2024 ;
BARTHELEMY (Pasquale), «Je suis Africaine…J’ai vingt ans», Annales, Histoires, Sciences Sociales, 2009, Vol 4, 29ème année, pages 825-852 ;
BEYALA (Calixthe), Tu t'appelleras Tanga, Paris, Stock, 1988, 201 pages ;
BEYALA (Calixthe), C'est le soleil qui m'a brûlée, Paris, J’ai Lu, 1999, 152 pages ;
BOUDHIBA (Abdelwahab), La Sexualité en Islam, Paris, P.U.F, Quadrige, 1975, 320 pages ;
BOURDIEU (Pierre), La domination masculine, Paris, Liber, 1998, 154 pages ;
BOUSSAHBA (Myriam), DELANOE (Emmanuelle), BAKSHI (Sandeep), Qu’est-ce que l’intersectionnalité ? Dominations plurielles : sexe, classe et race, Paris, Payot, essais, 2021, 320 pages ;
CHAABANE (Nadia), «Diversité des mouvements de femmes dans l’immigration», Les cahiers du CEDREF, 2008, n°16, pages 231-250 ;
COLLET (Margaux) REMY-LELEU (Raphaëlle), Beyoncé est-elle féministe ? Et autres questions pour comprendre le féminisme, Illustrated, 2018, 192 pages ;
COLLINS (Patricia, Hill), La pensée féministe noire : savoir, conscience et politique de l’Empowerment, traduction Diane Lamoureux, Paris, Payot, Rivages, 2021, 640 pages ;
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COQUERY-VIDROVITCH (Catherine) THEBAUD (Françoise) éditrices, Femmes d’Afrique, Toulouse, PUF du Mirail de Toulouse, 1998, 297 pages ;
COQUERY-VIDROVITCH (Catherine), Les Africaines, histoire des femmes noires du XIXème au XXème siècle, Paris, édition Desjonquère, Paris, 1994, 395 pages ;
COURADE (Georges) TICHIT (Christine), «Les Africaines font trop d’enfants ; une bombe démographique en puissance», in COURADE (Georges) éditeur, L’Afrique des idées reçues, Paris, Belin, 2006, 399 pages, spéc pages 325-331  ;
COURADE (Georges) TICHIT (Christine), «Les Africains sont tous des polygames», in COURADE (Georges) éditeur, L’Afrique des idées reçues, Paris, Belin, 2006, 399 pages, spéc pages 251-257  ;
CRENSHAW (Kimberlé, Williams), Intersectionnalité : Deux essais, traduction d’Emmanuelle Delanoë-Brun, Paris, Payot, 2023, 200 pages ;
DAVIS (Angela), Femme, race, classe, traduction de Dominique Taffin-Jouhaud, Paris, Zulma, 2022, 304 pages ;
DOOH-BUNYA (Lydie) DEWITTE (Philippe), «La condition des femmes noires en France. Entretien avec Lydie Dooh-Bunya», Hommes et migrations, avril 1990, n°1131, pages 43-48  ;
DOUTSONA (Judith), «Les femmes dans l’histoire contemporaine de l’Afrique : entre balbutiement et véritable ancrage, de 1960 à nos jours», BULSAC, juin 2022, n°5, pages 5-8 ;
FASSA (Farinaz), LEPINARD (Eléonore), ROCA I ESCODA (Marta), Intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, Paris, Senedit La Dispu, 2016, 288 pages ;
GROULT (Benoîte), Ainsi soit-elle, Paris, Grasset, Les Cahiers rouges, 2010, 238 pages ;
HANRY (Pierre), Erotisme africain : le comportement sexuel des adolescents guinéens,  Paris, Payot, 1970, 197 pages ;
HARINEN (Kaiju), «Défaire» la femme africaine : Intersectionnalité, dans les œuvre semi-autobigraphiques de Calixthe Beyala et Ken Bugul, thèse sous la direction d’Eija Suomela-Salmi,Turun Yliopisto, University of Turku (Finlande), 2018, 313 pages ;
HOOKS (Bell), Ne suis-je pas une femme ?, traduction d’Olga Potot, Paris, éditions Cambourakis, 2015, 294 pages ;
IMACHE (Tassadit), Une fille sans histoire, Paris, Calmann-Lévy, 1989, Hors d’atteinte, 2024, 203 pages ;
JANIN (Pierre), «Les Africains sont soumises», in COURADE (Georges) éditeur, L’Afrique des idées reçues, Paris, Belin, 2006, 399 pages, spéc pages 344-349  ;
KANE (Coudy), «La parole aux Négresses d’Awa Thiam : relecture d’une œuvre pionnière du féminisme africain», Etudes littéraires africaines, 2021, n°51, pages 63-75 ;
MADEIRA-KEITA (Mamadou), «Aperçu sommaire sur les raisons de la polygamie chez les Malinké»,  Études guinéennes, Conakry, 1947, n°2, 2 pages ;MARCIREAU (Jacques), Histoire des rites sexuels, Paris, Laffont, 1971, 350 pages ;
MOURALIS (Bernard), «Une parole autre. Aoua Keita, Mariama Ba et Awa Thiam», Notre librairie, avril 1994, n°117, pages 21-27 ;
PAULME (Denise), Classes d'âge en Afrique de l’Ouest, Paris, Plon, 1971, pages ;
SOW (Fatou), «Les défis d’une féministe en Afrique», entretien avec Thérèse LOCOH, et Isabelle PUECH, Travail, genre et société, 2008, Vol 2, n°20, pages  5 -22 et Revue Tiers Monde, janvier-mars 2012, n°209, p 145 -160 ;
SURET-CANALE (Jean), «La femme dans la société africaine», La vie africaine, 1965, n°56, pages 25-32.
Paris, le 28 mai 2024, par Amadou Bal BA -
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
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«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise, théoricienne de l’intersectionnalité et la double réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», à Paris avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG et au Sénégal, à Dakar, avec une préface de N’Dèye Fatou Kane et une postface de Kani DIOP» par Amadou Bal BA –
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28 mai 2024 2 28 /05 /mai /2024 21:34
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise de la Gauche radicale et la réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG» par Amadou Bal BA –
Si on assiste maintenant à un intérêt ou un regain sur les études de genre ou de féminisme en Afrique, en termes de militantisme, d’émancipation ou de lutte, de religion, de sexualité, c’est qu’auparavant, des écrivaines ont labouré ce terrain aride, hostile de la misogynie, du patriarcat et donc de la domination masculine. Bien qu’elle soit restée discrète, invisibilisée et peu reconnue, notre Awa THIAM, une éminente femme de Lettres sénégalaise, devrait sortir de ce Purgatoire ; elle fait partie de ce qui font du Sénégal un Grand petit pays et a réclamé très tôt, l’égalité des droits. Awa THIAM, bien avant Mariama BA (Voir mon article, 3 juin 2023) est la première à s’insurger contre le système visant à mettre les Femmes sous tutelle, et les a invitées à prendre la parole, comme la Grande Royale de Cheikh Hamidou KANE : «Prise, réappropriation ou restitution de la parole ? Longtemps les Négresses se sont tues. N’est-il pas temps qu’elles (re)découvrent leurs voix, qu’elles prennent ou reprennent la parole, ne serait-ce que pour dire qu’elles existent, qu’elles sont des êtres humains, en tant que tels, elles ont droit à la liberté, au respect, à la dignité ? Les Négresses ont-elles déjà pris la parole ? Se sont-elles déjà faites entendre ? Oui, quelquefois, mais toujours avec la bénédiction des mâles. Leur parole n’avait rien alors d’une parole de femme. Elle ne disait pas la femme. Elle ne disait ni ses luttes ni ses problèmes fondamentaux. Les femmes ont à se réapproprier la parole, la vraie», écrit Awa THIAM, dans «La parole aux Négresses».
Dans un Sénégal, 18 ans après l’indépendance, musulman, conservateur et corseté, Awa THIAM a eu l’audace d’aborder les questions, jugées provocatrices et taboues, de polygamie, la répudiation, le blanchiment de la peau, les grossesses précoces de marquage du corps, les scarifications, les mutilations sexuelles féminines, l'habillement, la coiffure, la contraception, de l'avortement, mais aussi de la sexualité féminine. En effet, Awa THIAM, anthropologue, de la gauche radicale, dans la trempe de Bell HOOKS et d’Angela DAVIS, dans une démarche intersectionnelle, une perspective de classe, de race, de sexe, est une écrivaine de la dénonciation des oppressions et de la marginalisation des femmes noires de la femme. En particulier, cette écrivaine sénégalaise a montré comment le patriarcat, le racisme et le capitalisme ont divisé des causes qui auraient pu être communes. Preuve que c’est en surmontant les clivages de genre, de race, de classe, et en brisant les fausses mythologies, que les femmes pourront le mieux se libérer des oppressions. « Lutter, c’est se battre avec résolution et foi dans une victoire certaine, comme la promesse d’un bonheur prochain et sûr, que l’on vivra ou que d’autres vivront. Donc lutter avec la ferme conviction qu’il y aura un aboutissement positif, en notre présence ou en notre absence», écrit Awa THIAM.
La première édition de 1978, préfacée par Benoîte GROULT, avait complètement disparu de la circulation, mais a été traduite, en 1986, en langue anglaise. «Ce n’est pas en tant qu’écrivaine que je voulais dire quelques mots du livre d’Awa Thiam. C’est en  tant que femme tout simplement. (…). Dans de nombreux pays, il s’est trouvé des hommes pour dénoncer les méthodes répressives et les abus de pouvoir. Mais curieusement, quand ils s’exercent sur des femmes, citoyennes de seconde zone, on jette un voile pudique sur la réalité. Or, la Justice ne descend pas du ciel. Chaque liberté, chaque droit a dû être arraché. (…). Les témoignages que vous allez lire ne constituent pas un manifeste, n’expriment pas une révolte, ni même une revendication. Ce sont des confidences toutes simples qu’Awa Thiam a su recueillir dans leur naïveté, leur maladresse parfois et dont le ton pathétique vient de cette résignation à un sort qui est considéré comme une fatalité de la condition féminine. (…) Les Négresses qui s’expriment ici n’ont pas conscience de l’injustice et n’ont pas encore découvert la solidarité et l’espoir. (…). Elles parlent, mais elles n’accusent pas», écrit Benoîte GROULT. Mame-Fatou NIANG, dans la préface de l’édition de 2024, s’insurge contre cette interprétation fataliste «Quelle surdité que de refuser d’y entendre la révolte, quel aveuglement que de n’y déceler ni volonté, ni autonomie. Militante infatigable de la cause féminine, Benoîte Groult s’est particulièrement distinguée dans la lutte contre les mutilations sexuelles. Pourtant, tout à son en train de dénoncer l’arriérisme des sociétés africaines, elle passera à côté de ton analyse des mutilations génitales, et des imbrications coloniales, puis néocoloniales du sexisme, du patriarcat, de la classe et du racisme. (…) Tata, l’universitaire, en moi, ne peut que relever les hiérarchies à l’œuvre dans le déni de ton autorité scientifique», écrit Mame-Fatou DIOP.
Une des grandes originalités de ce roman d’Awa THIAM, une pionnière, c’est une succession de témoignages de femmes africaines, leurs mots, mais aussi leurs combats, de nouvelles perspectives, très loin de la résignation. «Prendre la parole pour faire face, pour dire son refus, sa révolte. Prendre la parole agissante. Parole-action. Parole subversive. Agir-agir-agir, en liant la pratique théorique, à la pratique-pratique», écrit Awa THIAM. Ainsi, Yacine, après 18 ans de mariage, deux enfants et enceinte d’un troisième enfant, apprend un soir, vers 23 h, que son mari a une seconde épouse et qu’elle doit lui céder le lit. Médina, fille sage et traditionaliste, est mariée à un cousin faisant des études en Arabie-Saoudite, contre son gré et en l’absence de son époux. Mais Médina va tomber amoureuse d’un étudiant à l’université de Dakar, Demba, mais se mariera vierge, pour divorcer par la suite. Tabara mariée à 16 ans, avec quatre enfants, découvre que son mari, un garde forestier, avait pris une maîtresse. Après un divorce, elle découvre que son troisième mari est impuissant. Tabara, dépitée de ces hommes considérant les femmes comme des objets, n’a plus envie de remarier, et s’adonne à la lecture. Finalement,  le féminisme africain, loin des clichés de l’Occident, ces femmes ont osé briser le silence et ont pris la parole pour se révolter contre l’injustice dont elles souffrent. En raison de la triple oppression par le sexe, la classe et la race, invisibilisées les Africaines, ont mis les mots sur ce qu’elles endurent : «La solution du problème des femmes sera collective et internationale. Le changement de leur statut sera à ce prix ou ne sera pas», écrit Awa THIAM.
Dans «Migration», il s'agit d'une histoire sordide d’une caisse remplie de têtes coupées, et au cours de ce voyage, une femme en souffrance aiguë, une mine contrite, prostrée. Ses vêtements laissaient percevoir des taches de sang. Le chauffeur s’arrêta. On s’aperçut que cette femme avait un nouveau-né, déjà mort. Faudrait-il dénoncer cet infanticide ? Il est bien question dans ce roman,  de voyage métaphorique au sein de la souffrance des femmes, de violences conjugales, de résilience,  de l’héroïsme au quotidien, de l’exode rural, de la sècheresse et de la pauvreté. Femme enceinte, la parturiente d’origine modeste dont le mari est émigré, l’héroïne du roman, s’était aventurée loin de son village, pour chercher du bois mort et des feuilles comestibles pour faire la cuisine. C’est une femme «à cœur d’homme» menant une vie endurante.
Le combat d’Awa THIAM est hautement d’une actualité brûlante. La polygamie loin de disparaître au Sénégal, même dans les pays non musulmans de l’Afrique, le père de Nelson MANDELA, comme celui du catholique Léopold Sédar SENGHOR, ou de l’écrivain congolais, Alain MABANCKOU, étaient des polygames «Les origines lointaines de la polygamie restent mal établies dans l’esprit des Africains. Institution léguée par les ancêtres, elle a acquis une force de tradition séculaire. Il semble cependant que le régime économique et social de l’esclavage l’ait indéniablement favorisée. La famille constituait une entité forte ayant ses biens communs : terre, produits des champs collectifs, bétail, armes de guerre et de chasse, bandes de cotonnades, esclaves, etc. Sa responsabilité était collective en tout. C’était une personne morale. Le mariage liant deux individus formait un véritable contrat entre deux groupes. On tente de justifier la polygamie par la luxure, des raisons économiques, le désir universel de procréation. Les Africains eux-mêmes font appel à l’Islam, mais la polygamie est préislamique», écrit, en 1947, Madeira KEITA. Bien que l’Islam ait limité, en polygamie, le nombre d’épouses à quatre, notre amie, écrivaine et militante des droits de la femme, Ken Bugul M’BAYE, dit avoir été la 33ème épouse d’un guide religieux (voir mon article, Ferloo, 3 novembre 2017).
Benoîte GROULT, préfacière de la première édition de 1978, «La parole aux Négresses», rappelait dans son livre, «Ainsi soient-elles», que le combat pour la libération de la Femme est celui de chaque instant, et qu’il ne faudrait jamais s’assoupir. Il est toujours possible de revenir en arrière, au servage, comme c’est le cas actuellement au Sénégal, mais aussi en France en raison d’une négrophobie et d’une islamophobie instrumentalisées par les forces du Chaos «Si elles ne défendent pas elles-mêmes les droits conquis par leurs mères, personne ne le fera pour elles. Rien n’est plus précaire que le droit des femmes. Il n’est jamais trop tard pour lire un livre féministe. Et Virginia Woolf, qui a dénoncé avec tant de subtilité et d'humour l'hégémonie implacable du mâle, restait pour moi une simple romancière. Il faut guérir d'être une femme. Non pas d'être née femme, mais d'avoir été élevée comme femme dans un univers d'hommes, d'avoir vécu chaque étape et chaque acte de notre vie avec les yeux des hommes, selon les critères des hommes. Et ce n'est pas en continuant à lire les livres des hommes, à écouter ce qu'ils disent en notre nom ou pour notre bien depuis tant de siècles que nous pourrons guérir», écrit Benoîte GROULT.
En particulier, à la suite de l’alternance dite de «rupture » du 24 mars 2024, censé faire table rase de l’ordre ancien, on découvre, médusés, que le Chef de l’Etat, Bassirou Diomaye FAYE, comme son Premier ministre, Ousmane SONKO, sont des polygames. Le plus surprenant, dans cette prétention de «rupture», c’est que les premières nominations notamment au sein de l’équipe gouvernementale, très masculine, trois femmes sur une équipe de 25 ministres (voir mon article, Médiapart, 6 avril 2024), comme au sein de la haute administration (voir mon article), sont le triomphe du patriarcat, et donc une grave marginalisation des Femmes. Où est donc la rupture ? Ce qui m’a plus étonné, c’est le silence d’une bonne partie des organisations dites féministes, ou des intellectuels prétendus féministes, dans une constante indignation, très sélective et bien orientée. J’en appelle à nos autorités publiques pour réparer cette grave injustice à l’égard des Femmes sénégalaises.
Références bibliographiques
I – Contributions d’Awa THIAM
THIAM (Awa), La parole aux Négresses, préface de N’Dèye Fatou KANE, postface de Kani DIOP, Dakar, Saaraba, 2024, 200 pages ;
THIAM (Awa), La parole aux Négresses, Paris, 1ère édition chez Denoël-Gonthier, 1978 avec une préface de Benoîte GROULT, seconde édition chez Divergences, avec une préface de Mame-Fatou NIANG, 2024, 205 pages ;
THIAM (Awa), Black Sisters Speak out ; Feminism and Oppression in Black Africa, traduction de Dorothy S. Blair, préface de Benoîte GROULT, Boulder, Colorado, Londres, Pluto Press, 1986, 136 pages ;
THIAM (Awa), La sexualité féminine africaine en mutation : l’exemple du Sénégal, préface d’Amady Aly DIENG, Paris, Harmattan, 2015, 199 pages ;
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THIAM (Awa), Récit d’une migration, Ivry-sur-Seine, Panafrica-Silex-Nouvelles du Sud, 2016, 142 pages ;
THIAM (Awa), Continents noirs, Paris, éditions Tierce, 1987, 223 pages ;
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II – Autres références
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AMINA (Mama), Études par les femmes et études sur les femmes en Afrique durant les années 1990, Dakar, CODESRIA, 1997, 131 pages ;
BA (Amadou, Bal), «Aoua KEITA (1912-1980), une militante malienne féministe et indépendantiste», Médiapart, 28 août 2021 ;
BA (Amadou, Bal), «Ken Bugul, Mariétou M’BAYE, une écrivaine féministe», Overblog, 31 octobre 2017, Ferloo, 3 novembre 2017 ;
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BA (Amadou, Bal), «Ousmane SONKO, premier gouvernement masculin, dominé par le PASTEF», Médiapart, 6 avril 2024 ;
BA (Amadou, Bal), «Sénégal : Nominations de 17 directeurs. Les Femmes et les Peuls ont été ostracisés», Médiapart, 25 avril 2024 ;
BOUDHIBA (Abdelwahab), La Sexualité en Islam, Paris, P.U.F, Quadrige, 1975, 320 pages ;
COLLET (Margaux) REMY-LELEU (Raphaëlle), Beyoncé est-elle féministe ? Et autres questions pour comprendre le féminisme, Illustrated, 2018, 192 pages ;
COQUERY-VIDROVITCH (Catherine), Les Africaines, histoire des femmes noires du XIXème au XXème siècle, Paris, édition Desjonquère, Paris, 1994, 395 pages ;
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DAVIS (Angela), Femme, race, classe, traduction de Dominique Taffin-Jouhaud, Paris, Zulma, 2022, 304 pages ;
DOUTSONA (Judith), «Les femmes dans l’histoire contemporaine de l’Afrique : entre balbutiement et véritable ancrage, de 1960 à nos jours», BULSAC, juin 2022, n°5, pages 5-8 ;
GROULT (Benoîte), Ainsi soit-elle, Paris, Grasset, Les Cahiers rouges, 2010, 238 pages ;
IMACHE (Tassadit), Une fille sans histoire, Paris, Calmann-Lévy, 1989, Hors d’atteinte, 2024, 203 pages ;
HANRY (Pierre), Erotisme africain : le comportement sexuel des adolescents guinéens,  Paris, Payot, 1970, 197 pages ;
HOOKS (Bell), Ne suis-je pas une femme ?, traduction d’Olga Potot, Paris, éditions Cambourakis, 2015, 294 pages ;
MADEIRA-KEITA (Mamadou), «Aperçu sommaire sur les raisons de la polygamie chez les Malinké»,  Etudes guinéennes, Conakry, 1947, n°2, 2 pages ;
MARCIREAU (Jacques), Histoire des rites sexuels, Paris, Laffont, 1971, 350 pages ;
PAULME (Denise), Classes d'âge en Afrique de l’Ouest, Paris, Plon, 1971, pages ;
SOW (Fatou), «Les défis d’une féministe en Afrique», entretien avec Thérèse LOCOH, et Isabelle PUECH, Travail, genre et société, 2008, Vol 2, n°20, pages  5 -22 et Revue Tiers Monde, janvier-mars 2012, n°209, p 145 -160 ;
SURET-CANALE (Jean), «La femme dans la société africaine», La vie africaine, 1965, n°56, pages 25-32.
Paris, le 28 mai 2024, par Amadou Bal BA -
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise de la Gauche radicale et la réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG» par Amadou Bal BA –
«Awa THIAM, Femme de lettres sénégalaise de la Gauche radicale et la réédition, en 2024, de son roman : «La parole aux Négresses», avec une nouvelle préface de Mame-Fatou NIANG» par Amadou Bal BA –
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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 19:00
«André BRETON (1896-1966), Pape sur surréalisme, médecin, poète, romancier, critique littéraire, marchand d’art, sa grande solidarité avec les racisés» par Amadou Bal BA
«Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut ainsi dire. C'est à sa conquête que je vais, certain de n'y pas parvenir, mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supporter un peu les joies d'une telle possession», écrit André BRETON, surnommé «Le Pape du surréalisme». André BRETON, fils unique, est né le 18 février 1896 à Tinchebray, chef-lieu du canton de l’Orne, en Bretagne. Son père, Louis-Justin BRETON (1867-1955) un secrétaire de gendarmerie, originaire des Vosges, est un homme plein de douceur et d’humour. Sa mère, Marguerite LE GOUGES (1871-), est une Bretonne, une femme froide, dévote et rigide, issue d’une petite bourgeoisie soucieuse de la respectabilité. Il gardera des souvenirs émus des séjours qu’il passa chez son grand-père maternel, installé à Saint-Brieuc, taciturne, mais un bon conteur affectueux. «C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la vraie vie», dira André BRETON. En 1900, son père, devenu comptable, s'installa rue de Paris, à Pantin, dans la banlieue nord de Paris, pour un poste de  sous-directeur d'une cristallerie. Son professeur de rhétorique au collège Chaptal, au 45 boulevard des Batignolles, à Paris où Albert KEIM, l’éveille à la poésie en lui faisant lire, Charles BAUDELAIRE, Stéphane MALLARME et Joris-Karl HUYSMANS. Dans la tourmente de deux guerres mondiales, la poésie, outil de transformation du monde, est inséparable de son interprétation. Le surréalisme, dévié de son orientation artistique, contribue à élargir le champ de la vie et de la conscience. Il se rattache aussi, dans sa recherche de l’insolite, au courant spirituel et ésotérique d’Isidore DUCASSE dit Lautréamont (1846-1870), auteur des chants de Maldoror. Pour lui, poésie, amour et liberté étant dissociés, il lira, par la suite, intensément, Arthur RIMBAUD, et HEGEL, et sera en contact avec Paul VALERY. Héritier du marquis de Sade et de Sigmund FREUD, il ne redoutait pas les thèmes de l’érotisme du péché, du rêve passionnel et de la mort dans sa création littéraire. Ami de Guillaume APOLINAIRE et Louis ARAGON, il écrit, en 1919, avec Philippe SOUPAULT, le premier ouvrage surréaliste, «Les champs magnétiques». À la suite de la rupture avec le mouvement Dada de Tristan TZARA, c’est l’ère du sommeil hypnotique et l’écriture automatique. Après des études de médecine, André BRETON fonde la revue «Littérature», avec Louis ARAGON et Philippe SOUPAULT. Il considère que les activités de journaliste, pourtant rémunératrices, de Louis ARAGON et de Robert DESNOS, sont inutiles «La révélation du sens de la vie ne s’obtient pas au prix du travail. Rien ne sert d’être vivant, s’il faut qu’on travaille», dit André BRETON. Le 15 novembre 1924 paraît le «Manifeste du Surréalisme» ; et, en 1925, André BRETON prend la direction de «La Révolution surréaliste». Jusqu'à sa mort à Paris le 28 septembre 1966, André BRETON restera le théoricien et le continuateur du mouvement. Un «automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale», écrit André BRETON.
André BRETON est un artiste aux talents multiples. «Pape du surréalisme», une exigence esthétique subversive, André BRETON, ami de Louis ARAGON, dont l’un des maîtres à penser est Isidore DUCASSE, comte de Lautréamont et son chant du Maldoror, écrit «les champs magnétiques». Marchand d’art, il estime que «L'œil existe à l'état sauvage». André BRETON pense toujours que la vision possède une antériorité absolue sur le langage et que l'œil est l'instrument d'une saisie immédiate du monde. Un regard sur une peinture peut encore, à la fin d'une vie, engager l'existence avec la force du coup de foudre amoureux.
I – André BRETON, «Pape du surréalisme» et son roman, «Nadja»
«Nadja» est inspiré par la rencontre fulgurante du poète avec Léona DELCOURT, née à Saint-André-lez-Lille, commune de la banlieue lilloise et morte le 15 janvier 1941. Léona DELCOURT a été internée, à la suite d’excentricités auxquelles elle s’était livrée dans un couloir de son hôtel. En effet, Léona DELCOURT emprunte son prénom, Nadja, à Béatrice WAGNER, une danseuse aux seins nus, du Théâtre ésotérique. Nadja, une jeune femme fascinante, bouleversante éclairant son destin d’homme et d’écrivain, une passion dévorante, rencontre le 4 octobre 1926, André BRETON ; elle avait 24 ans et l’auteur 30 ans. «Je n’avais jamais vu de tels yeux. Qu’y a-t-il dans ces yeux ? De la détresse et de l’orgueil ?», s’exclame, André BRETON. En pleine révolution surréaliste, «Nadja», une création littéraire, est une révolte, un engagement qui, participant à la quête du merveilleux, ouvre le procès du monde réel et doit aider l’homme à redevenir un rêveur définitif. En effet, ce roman, «Nadja», premier récit entièrement narratif, contenant également des photographies, un livre illustré, paraît en 1928 en pleine période surréaliste, un engagement esthétique faisant une large au rêve, au merveilleux et à l'amour. Au commencement quasi mystique et magique, il  avait l'écriture automatique, puis l'écriture en état d'hypnose, André BRETON, réévaluant constamment sa doctrine, jetant des ponts vers la politique dans l'espoir d'une révolution, avec son roman, «Nadja», a lancé une avant-garde littéraire. Les thèmes récurrents dans ce roman sont l’inconscient, le non-contrôle, la folie, l’imagination, les phénomènes extraordinaires, l’amour, le désir, l’imagination et le rêve «Je crois à la résolution future de deux états en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, une sorte de réalité absolue», écrit André BRETON. Les surréalistes déforment les objets pour créer une nouvelle esthétique, grâce au hasard. «Nadja, parce qu’en russe, c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement», dit André BRETON. Muse et beauté convulsive, dans ce manifeste du surréalisme, «Nadja, la femme, qui sait coucher la réalité sous ses pieds, fait lever les pétrifiantes coïncidences. Qui incarne, pour Breton, cette idée surréaliste, au point qu’il niera la femme pour dire la figure, sa manière d’être une idée limite», écrit, en 2009, Hester HALBACH, une romancière néerlandaise, dans «Léona héroïne du surréalisme».
Dans ce roman, le personnage de Nadja, à partir de l’hôtel des «Grands hommes», à la Place du Panthéon, à Paris 5ème entraîne le narrateur dans les rues de la capitale, pour une expérience mystique. En réalité, le roman est aussi en grande partie autobiographique. André BRETON, le narrateur avant tout à la recherche de lui-même. «André ? Tu écriras un roman sur moi. Je t’assure. Ne dis pas non. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous, il faut qu’il reste quelque chose», écrit André BRETON. En effet, sa rencontre avec Nadja, inspirée et inspirante, l’amène à activer sa mémoire et à reprendre ses notes pour tracer leur histoire. «J'ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s'attacher, mais qu'il ne saurait être question de se soumettre. J'ai vu ses yeux de fougère s'ouvrir le matin sur un monde où les battements d'ailes de l'espoir immense se distinguent à peine des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n'avais vu encore que des yeux se fermer», écrit-il dans «Nadja». Aussi, André BRETON s’astreint à transcrire une relation avec le ton dépassionné qui sied aux études cliniques pour éviter toute «fantasmagorie». Par sa présence, le personnage de Nadja est un puissant détonateur pour André BRETON, à se découvrir et se révéler. «Qui suis-je ?», s’interroge André BRETON. «Qui vive ? Est-ce vous Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ?», écrit André BRETON. Par sa présence, Nadja justifie aussi la quête de l’auteur à la recherche de lui-même. Et une fois son rôle achevé d’initiatrice, de révélatrice, Nadja s’évanouit.
Cependant, ce roman, "Nadja", nous entraine aussi dans les paysages de la morale, de la philosophie ou de l’histoire littéraire, celle du surréalisme. En effet, le surréalisme est aussi une aventure littéraire autour d’un amour fou «La beauté sera convulsive ou ne sera pas», écrit André BRETON. L’auteur condamne les psychiatres et les juges, les prisons et les asiles et refuse une manière de vivre imposée par la société ; de l’autre, il condamne tout aussi durement l’homme qui supporte son asservissement, et invite le lecteur à goûter au «principe de subversion totale», mais, le destin de Nadja lui en fait voir les conséquences possibles. Dans cette aventure surréaliste, un terrain d’expérimentation du langage, André BRETON nous voyager dans l’inconscient, le non-contrôle, la folie, sans nous faire précipiter dans l’abîme. Entre la dimension onirique de la mémoire ensevelie dans le gant de la main, le souvenir de Nadja, et la mort, la vraie vie est surréaliste ; elle ne retient que ce qui est important. C’est une manière de vivre où l’on est ouvert et réceptif au hasard objectif. La «vraie vie» suppose une disposition d’esprit permettant de s’ouvrir aux rencontres. Il y a une part freudienne de l’inconscient, du réel et de l’irréel, «Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire», écrit André BRETON. En revanche, le surréel, ce qui est au-delà du réel, c’est le merveilleux qui s’oppose aux contingences du quotidien.
II – André BRETON, un auteur engagé et sa solidarité avec les racisés
A – La rencontre d’André BRETON avec l’écrivain martiniquais, Aimé CESAIRE
Contrairement à Louis ARAGON, qui avait pris en grippe Aimé CESAIRE et l’obligera de démissionner, par une lettre fracassante du Parti communiste, André BRETON est devenu un grand ami de ce poète martiniquais. Quittant la France sous Vichy pour les États-Unis, au printemps 1941, André BRETON en compagnie de Victor SERGE et de Claude LEVI-STRAUSS, rejoint peintre André MASSON (1896-1987), fait une escale forcée à la Martinique où il est interné dans un camp du Lazaret, une presqu’île isolée de la ville. Ce voyage est relaté dans «Martinique, charmeuse de serpents». Cependant, l’autorité militaire délivre à certains des «permissions» pour se rendre en ville pour démarches, sous étroite surveillance. «Avril 1941. Bloquant la vue une carcasse de navire, scellée de madrépores au sol de la plage et visitée par les vagues – du moins les petits enfants n’avaient pas rêvé mieux pour s’ébattre tout le long du jour – par sa fixité même ne laissait aucun répit à l’exaspération de ne pouvoir se déplacer qu’à pas comptés, dans l’intervalle de deux baïonnettes : le camp de concentration du Lazaret, en rade de Fort-de-France», écrit André BRETON, dans la préface de 1947, aux éditions Bordas, du «Cahier d’un retour au pays natal».
En Martinique, André BRETON découvre les préjugés raciaux, l'oppression des masses et la triste bureaucratie coloniale, mais en même temps la beauté des lieux. À Absalon, il rencontre Aimé CESAIRE. Entrant dans une mercerie, au hasard de l’achat d’un ruban pour sa fille, André BRETON découvre exposé dans la vitrine le premier numéro de la revue «Tropiques» qui venait de paraître. «Sous une présentation des plus modestes, c’était le premier numéro, qui venait de paraître à Fort-de-France, d’une revue intitulée Tropiques. (…) Je n’en crus pas mes yeux : mais ce qui était dit là, c’était ce qu’il fallait dire, non seulement du mieux, mais du plus haut qu’on pût le dire ! Toutes ces ombres grimaçantes se déchiraient, se dispersaient ; tous ces mensonges, toutes ces dérisions tombaient en loques : ainsi la voix de l’homme n’était en rien brisée, couverte, elle se redressait ici comme l’épi même de la lumière. Aimé Césaire, c’était le nom de celui qui parlait», écrit-il dans la préface du Cahier. Aussi, André BRETON a célébré CESAIRE qu’il a rencontré grâce à la mercière. «En plein contraste avec ce qui, durant les mois précédents, s’était publié en France, et qui portait la marque du masochisme quand ce n’était pas celle de la servilité, Tropiques continuait à creuser la route royale. «Nous sommes, proclamait Césaire, de ceux qui disent non à l’ombre». (…). Je retrouve ma première réaction tout élémentaire à le (Césaire) découvrir d’un noir si pur, d’autant plus masqué à première vue qu’il sourit. Par lui, je le sais déjà, je le vois et tout va me le confirmer par la suite, c’est la cuve humaine portée à son point de plus grand bouillonnement, où les connaissances, ici encore de l’ordre le plus élevé, interfèrent avec les dons magiques», écrit, en 1947, André BRETON, dans une magistrale préface de l’édition de 1947, chez Bordas du Cahier d’un retour au pays natal. La poésie d’Aimé CESAIRE est un don du refus, un pouvoir de transmutation, «Et c’est un Noir qui manie la langue française comme il n’est pas aujourd’hui un Blanc pour la manier. (…). Et c’est un Noir qui est non seulement un Noir, mais tout l’homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases et qui s’imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité. L’enjeu, tout compte tenu du génie propre de Césaire, était notre conception commune de la vie. Cahier d’un retour est un poème «à sujet», sinon «à thèse», la poésie de Césaire, comme toute grande poésie et tout grand art. La parole d’Aimé Césaire est belle comme l’oxygène naissant», écrit-il dans cette fameuse préface.
André BRETON reconnaît en Aimé CESAIRE un «grand poète noir», qui s'enchante de la violence, du lyrisme, de ce chant profond de la liberté, un poète de la révolte du peuple noir contre l’injustice. Il a une dimension sociale et politique affirmée. «Aimé Césaire est tout l’homme, il en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les extases», dira André BRETON.
Le coup de foudre est réciproque. «Si je suis ce que je suis, je crois qu’en grande partie c’est à cause de Breton, une sorte de raccourci pour me trouver moi-même», confesse Aimé CESAIRE. Par ailleurs, le poème, «en guise de manifeste littéraire» d’Aimé CESAIRE, est dédié à André BRETON. «Inutile de durcir sur notre passage, plus butyreuses que des lunes, vos faces de tréponème pâle. Inutile d’apitoyer pour nous l’indécence de vos sourires de kystes suppurants. Flics et flicaillons Verbalisez la grande trahison loufoque, le grand défi mabraque et l’impulsion satanique et l’insolente dérive nostalgique de lunes rousses, de feux verts, de fièvres jaunes», écrit Aimé CESAIRE. En 1944, André BRETON rédigera la préface du recueil «Les Armes Miraculeuses», qui marque le ralliement de CESAIRE au surréalisme. C’est une fidèle continuation du Cahier d’un retour au pays natal. L'écriture poétique, manifestement surréaliste, faite d'associations d'images insolites, de jeux de sonorités, fait recourt à la prosodie d'influence africaine, mais aussi au style d’Isidore DUCASSE. Les monstres marins: squales et céphalopodes, y côtoient les vies grouillantes qui pullulent sous nos pieds ou dans nos corps. Tout le lexique microbien, médical, animal et végétal est ainsi convoqué. Aimé CESAIRE envoie à André BRETON un exemplaire des «Armes miraculeuses», avec cet autographe «À André Breton le seul être au nom de qui on puisse accoler sans mensonge le mot magicien et qui éclabousse de ses prophéties, de ses sommations merveilleuses la route fragile qui mène de la tour Saint-Jacques aux tropiques, en hommage de ma très grande admiration et de mon affection, toujours fidèle A. Césaire», écrit-il.
B – La rencontre entre André BRETON et l’artiste mexicaine, Frida KAHLO
André BRETON, dont l’engagement à gauche, et un certain temps au Parti communiste est connu, s’était rendu en 1938 au Mexique, avec son épouse, Jacqueline LAMBA, dans le but de rencontré Léon TROTSTOI, hébergé au domicile de Diégo et Frida KAHLO, à la «Casa Azul». André BRETON, Diégo RIVERA (1886-1957), peintre mexicain, et Léon TROTSKI (1879-1940) écriront, ensemble un ouvrage «Jamais la civilisation humaine n'a été menacée de tant de dangers qu'aujourd'hui. Les vandales, à l'aide de leurs moyens barbares, c'est‑à‑dire fort précaires, détruisirent la civilisation antique dans un coin limité de l'Europe. Actuellement, c'est toute la civilisation mondiale, dans l'unité de son destin historique, qui chancelle sous la menace de forces réactionnaires armées de toute la technique moderne», disent-il, dans «Pour un art révolutionnaire».
Frida KAHLO était venue à Paris,  pour une exposition, du 10 et 25 mars 1939, à la Galerie Maurice Renou et Pierre Colle, 164 rue du Faubourg Saint-Honoré, à l’invitation d’André BRETON (1896-1966) et le Musée du Louvre avait acheté un de ses tableaux, «Le Cadre». Mais apparemment, Frida KAHLO était furieuse de l’inorganisation d’André BRETON (Voir mon article, Médiapart, 29 octobre 2022) et ne mâche pas ses mots : «L’exposition est un sacré bazar. Quand je suis arrivée, les tableaux étaient encore à la douane, parce que ce fils de putain de Breton n’avait pas pris la peine de les en sortir. Il n’a jamais reçu les photos que tu lui as envoyées il y a des lustres, ou du moins c’est ce qu’il prétend ; la galerie n’était pas du tout prête pour l’exposition, d’ailleurs ça fait belle lurette que Breton n’a plus de galerie à lui. Bref, j’ai dû attendre des jours et des jours comme une idiote, jusqu’à ce que je fasse la connaissance de Marcel Duchamp (un peintre merveilleux), le seul qui ait les pieds sur terre parmi ce tas de fils de pute lunatiques et tarés que sont les surréalistes», écrit-elle, le 16 février 1939, de l’hôpital américain de Paris, à Nickolas MURAY. Bien remontée, Frida ajoute ceci : «Je préférerais m’asseoir par terre pour vendre des tortillas au marché de Toluca plutôt que de devoir m’associer à ces putains d’ «artistes» parisiens. Ils passent des heures à réchauffer leurs précieuses fesses aux tables des «cafés», parlent sans discontinuer de la «culture», de «l’art», de la «révolution» et ainsi de suite, en se prenant pour les dieux du monde, en rêvant de choses plus absurdes les unes que les autres et en infectant l’atmosphère avec des théories et encore des théories qui ne deviennent jamais réalité. Le lendemain matin, ils n’ont rien à manger à la maison vu que pas un seul d’entre eux ne travaille. Ils vivent comme des parasites, aux crochets d’un tas de vieilles peaux pleines aux as qui admirent le «génie» de ces «artistes». De la merde, rien que de la merde, voilà ce qu’ils sont», écrit-elle.
André BRETON est également poète ;. Le hasard et le désir, la vie et le rêve, le monde et l’amour ne sont pas absents de ses préoccupations artistiques «Je vous souhaite d'être follement aimée», écrit-il dans «L’Amour fou». Dans «Vases communicants», André BRETON cherche à démontrer que le monde réel et le monde du rêve ne font qu'un. L'unité du rêve et du réel passe par une profonde transformation sociale. Il a aussi écrit sur l’humour noir borné par trop de choses, telles que la bêtise, l’ironie sceptique, la plaisanterie sans gravité.
Dans sa maîtrise de la matière verbale, magicien des mots, écrivain accompli, dans ses transports lyriques, André BRETON a chanté, dans sa poésie, l’Amour «Mon amour pour toi n’a fait que grandir depuis le premier jour : sous le figuier impérial, il tremble et il rit dans les étincelles de toutes les forges quotidiennes. Parce que tu es unique, tu ne peux manquer pour moi d’être toujours une autre, une autre toi-même. À travers la diversité de ses fleurs inconcevables, là-bas, c’est toi changeante que j’aime en chemise rouge, nue, en chemise grise», écrit, dans «l’Amour fou», André BRETON. «Je te réinventerai pour moi comme j'ai le désir de voir se recréer perpétuellement la poésie et la vie», dit-il. En effet, André BRETON est «parmi tous les poètes vivants, est certainement le plus grand. Cela ne fait aucun doute pour tous ceux qui, ayant lu Novalis, Nerval, Rimbaud, Lautréamont, Apollinaire, ont découvert dans la poésie la plus complète recréation possible de l'être humain», écrit Alain JOUFFROY.
André BRETON a été marié trois fois : tout d’abord, de 1921-1931, à Simone Rachel KAHN (1897-1980), galeriste originaire du Pérou, avec laquelle il a entretenu une importante correspondance, ensuite, en 1934, à Jacqueline LAMBA (1910-1993), qui lui a donné une fille, Aube ELLEOUET, née BRETON, née le 20 décembre 1935, une artiste plasticienne, et enfin, en 1945 à sa mort en 1966, à Elisa BINDHOFF, (1906-2000), plasticienne et écrivaine chilienne. «L'amour n'est pas une illusion, il est la médiation entre l'homme et la nature, le lieu où se croisent le magnétisme terrestre et celui de l'esprit», écrit au sujet d’André BRETON, son ami, Octavio PAZ.
Souffrant d’insuffisance respiratoire grave, il avait transporté d’urgence de sa maison Saint-Cirq-Lapopie (Lot) à la capitale. André BRETON meurt le 28 septembre 1966, à l’hôpital Lariboisière. Enterré au cimetière des Batignolles, à Paris 17ème sur sa pierre tombale est mentionné : «Je cherche l’or du temps».
André BRETON, quelle postérité ?
Les hommages ont été nombreux à la mort de l’auteur : «André Breton n'était pas, à proprement parler, un philosophe. C'est pourtant dans son œuvre que l'exigence surréaliste a atteint son plus haut degré de clarté. Cette exigence, qui est avant tout de liberté, se traduit à la fois par le refus de toute contrainte et par l'espoir mis dans l'amour et la poésie, considérés comme capables de changer la vie et de collaborer à la transformation du monde», écrit Ferdinand ALQUIE, un de ses biographes. Qualifié d’homme de culture : «Breton tempérait sa dictature par l'humour, un humour non pas noir, mais direct, lucide et familier qui faisait de Breton un personnage attachant et fascinant, aussi prestigieux, mais moins fameux que le personnage en majesté qu'il fut aussi», écrit Raymond QUENEAU. On prétend que le surréalisme serait dépassé : «Poète, parfois inspiré, souvent maladroit, dans sa crainte de rester en deçà des possibilités de l'homme et des siennes propres, il devance trop souvent ce qu'il sait et même ce qu'il sent. S'étant trouvé à l'avant-garde, et en ayant été unanimement reconnu pour le chef, il n'a pas cessé de craindre depuis lors qu'on ne le trouve dépassé», écrit Claude MAURIAC. «Breton est mort. Tout est à recommencer», écrit Jean PAULHAN. En effet, André BRETON ne voulait jamais s'avouer vaincu. «Même quand il fallait lutter contre l'oubli et le conformisme. Il créa des revues. De plus en plus souvent, il est vrai, on employait à tort et à travers ce qualificatif «surréaliste» pour désigner n'importe quoi, tout ce qui était, aux yeux des journalistes, plus ou moins insolite. Pourtant, on commençait à lui rendre justice et à mesurer la portée de son influence. (…). Ce qui me surprenait et qui provoquait mon admiration c'est qu'il voulait, envers et contre tous, rester fidèle à lui-même», écrit son ami, Philippe SOUPAULT.
Références bibliographiques
I – Contributions d’André BRETON
BRETON (André), «Adieu ne plaise», discours à la mémoire de Francis Picabia, N.R.F., 1er mars 1954, pages 489-491 ;
BRETON (André), Anthologie de l’humour noir, Paris, Le Livre de Poche, 2005, 445 pages ;
BRETON (André), Clair de terre, Paris, Gallimard, 1937, 194 pages ;
BRETON (André), Clair de terre/ Le revolver à chevaux blanc/ L’air de l’eau/Mont de piété, Paris, Gallimard, 1966, 192 pages ;
BRETON (André), Correspondances avec Paulhan (1918-1962), présentation de Clarisse Barthélémy, Paris, Gallimard, 2021, 272 pages ;
BRETON (André), Écrits sur l’art et autres textes, édition de Marguerite Bonnet, sous la direction d’Alain Hubert, Philippe Bernier et Marie-Claire Dumas, Paris, Gallimard, Pléiade, 2008, 1584 pages ;
BRETON (André), Entretiens 1913-1952, avec André Parinaud, Dominique Arban, Jean-Louis Bedouin, Paris, Gallimard, 1973, 312 pages ;
BRETON (André), Introduction au discours sur le peu de réalité, Paris, Gallimard, 1927, 40 pages ;
BRETON (André), L’air de l’eau : maquette pour poèmes, Paris, Cahiers d’Art, 1934, 2 pages ;
BRETON (André), L’amour fou, Paris, Gallimard, Folio, 1937, 136 pages ;
BRETON (André), L’art magique. Une histoire de l’art, Paris, Phébus, 2003, 360 pages ;
BRETON (André), La clé des champs, Paris, Hachette, Fonds Pauvert, 1977, 288 pages ;
BRETON (André), La lampe dans l’horloge, Paris, éditions Robert Marin, 1948, 85 pages ;
BRETON (André), Le crime des autres, Paris, Paul Ollendorf, 1885, 268 pages ;
BRETON (André), Le manifeste du surréalisme, Paris, édition de Jean-Jacques Pauvert, Gallimard, 1962, 363 pages ;
BRETON (André), Le revolver à cheveux blancs. Poésie, Paris, Cahiers libres, 1932, 173 pages ;
BRETON (André), Le surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard, 2002, 360 pages ;
BRETON (André), Les pas perdus, Paris, Gallimard, Blanche, 1924, 224 pages ;
BRETON (André), Les vases communicants, Paris, Gallimard, Folio, 1996, 178 pages ;
BRETON (André), Lettres à Simone Khan (1920-1960), édition de Jean-Michel Goutier, Paris, Gallimard, collection Blanche, 1996, 384 pages ;
BRETON (André), Lettres à Simone Khan, présentation et édition de Jean-Michel Goutier, Paris, Gallimard, 2016, 377 pages ;
BRETON (André), Madame La Députée, Paris, Paul Ollendorf, 1884, 254 pages ;
BRETON (André), Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, Folio, 1985, 173 pages ;
BRETON (André), Martinique Charmeuse de serpents, illustrations de Jean Masson, Paris, éditeur Jean-Jacques Pauvert, 1948,  1977, 136 pages ;
BRETON (André), Nadja, Paris, Gallimard, Folio, 1972, 189 pages ;
BRETON (André), Ode à Charles Fourier, Paris, Fontaine, collection de l’âge d’or, 1947, 41 pages ;
BRETON (André), Perspective cavalière, édition de Marguerite Bonnet, Paris, Gallimard, 1996, 266 pages ;
BRETON (André), Poèmes, édition de Marguerite Bonnet, Philippe Bernier, Marie-Claire Dumas, Étienne-Alain Hubert et José Pierre, Paris, Gallimard, Pléiade, tome 3, 1999, pages 411-421 et 1275-1286 ;
BRETON (André), Point du jour, Paris, Gallimard, Folio, 1992, 192 pages ;
BRETON (André), Poisson soluble, édition de Marguerite Bonnet et de Philippe Bernier, préface de Julien Gracq, Paris, Gallimard, 1996, 192 pages ;
BRETON (André), Position politique du surréalisme, Paris, Sagittaire, 1935, 174 pages ;
BRETON (André), RIVERA (Diégo), TROTSKI (Léon), Pour un art révolutionnaire indépendant, Mexico, 25 juillet 1938, in Marlène KADAR, Cultural Politics in the 1930s. Partisan Review, the Surrealists and Leon Trotsky, thèse, Edmonton, (Alberta), 1983, 284 pages, spéc pages 140-145 ;
BRETON (André), SOUPAULT (Philippe) AUDOUIN (Philippe), Les champs magnétiques/S’il vous plait/Vous m’oublierez, Paris, Gallimard, 1971, 192 pages.
II – Autres références
ALBACH (Hester), Léona, héroïne du surréalisme, traduction d’Arlette Ounanian, Arles, Actes Sud, 2009, 320 pages ;
ALQUIER (Ferdinand), «Nécrologie. André Breton (1896-1966)», Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1967, tome 157, page 143 ;
ALQUIER (Ferdinand), Philosophie du surréalisme, Paris, Flammarion, Nouvelle bibliothèque scientifique, 1955, 234 pages ;
BEDOUIN (Jean-Louis), André Breton, Paris, Seghers, 1970, 187, pages ;
BEHAR (Henri), André Breton : Le grand indésirable, Paris, Fayard, 2005, 542 pages ;
BOURGEACQ (Jacques), «Surréalisme et philosophie africaine», Literature and Civilization of Black Francophone Africa, mai 1982, Vol 55, n°6, pages 733-741  ;
CANFIELD REISMAN (Rosemary), Surrealist Poets, Salem Press, 2012, 280 pages ;
CARROUGES (Michel), André Breton et les données fondamentales du surréalisme, Paris, Gallimard, 1950, pages ;
CRASTRE (Victor), André Breton, Paris, Arcanes, 1952, 194 pages 
EIGELDINGER (Marc), éditeur scientifique, André Breton : Essais et témoignages, Neuchâtel, éditions la Baconnière, 1970, 287 pages ;
GRACQ (Julien), André Breton : quelques aspects de l’écrivain, Paris, Corti, 1948 et 2022, 206 pages ;
HENANE (René), Les armes miraculeuses d’Aimé Césaire : Une étude critique, Paris, Harmattan, 2008, 349 pages, spéc sur le surréalisme, pages 323-333 ;
LEIRIS (Michel), «Martinique charmeuse de serpents», Les Temps modernes, 1949, no 40, pages 363-364 ;
MATTHEWS (J. H.), André Breton, New York, Londres, Columbia University Press, 1967, 54 pages ;
MAURIAC (Claude), André Breton, Paris, éditions de Flore, 1949, et Grasset, Les Cahiers rouges, 2004, 376 pages ;
MEYER (Michel), Manifeste du surréalisme d’André Breton. Essai et dossier, Paris, Gallimard, Foliothèque, 2002, 192 pages ;
MOURIER-CASILE (Pascaline), André Breton : explorateur de la mère-noire, Paris, PUF, 1985, 232 pages ;
MURAT (Michel), Le surréalisme, Paris, Le Livre de poche, 2013, 408 pages ;
NADEAU (Maurice), Histoire du surréalisme, Paris, Seuil, 1970, 188 pages ;
Nouvelle Revue Française, André Breton (1896-1966) et le mouvement surréaliste. Hommages. Témoignages. L’œuvre, le mouvement surréaliste, Paris, NRF, numéro spécial, 1er avril 1967, n°172, pages 589-961 ;
PIETRO SAURA (Claudia), Surréalisme et négritude : De Breton à Senghor et Lorca, Paris, La Sorbonne, 2019, 76 pages ;
POLIZZOTTI (Mark), André Breton, Paris, Gallimard, biographies, 1999, 848 pages ;
SCHWARTZ (Arturo), André Breton, Trotsky et l’anarchie, traduction d’Amaryllis Vassilikiotti-Veiler, Paris, Union générale d’éditions, 1977, 216 pages ;
STEINMETZ (Jean-Luc), André Breton et les surprises de l’amour fou, Paris, Presses universitaires de France, 1994, 146 pages ;
TATI LOUTARD (Jean-Baptiste), «Senghor et le surréalisme», Présence africaine, 1996, Vol 2, n°154, pages 176-183 ;
WALTER (Benjamin), Le surréalisme, traduction d’Olivier Mannoni, Paris, Petite Bibliothèque Payot, Classiques, 2018, 128 pages.
Paris, le 21 mai 2024, par Amadou Bal BA -
«André BRETON (1896-1966), Pape sur surréalisme, médecin, poète, romancier, critique littéraire, marchand d’art, sa grande solidarité avec les racisés» par Amadou Bal BA –
«André BRETON (1896-1966), Pape sur surréalisme, médecin, poète, romancier, critique littéraire, marchand d’art, sa grande solidarité avec les racisés» par Amadou Bal BA –
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«André BRETON (1896-1966), Pape sur surréalisme, médecin, poète, romancier, critique littéraire, marchand d’art, sa grande solidarité avec les racisés» par Amadou Bal BA –
«André BRETON (1896-1966), Pape sur surréalisme, médecin, poète, romancier, critique littéraire, marchand d’art, sa grande solidarité avec les racisés» par Amadou Bal BA –
«André BRETON (1896-1966), Pape sur surréalisme, médecin, poète, romancier, critique littéraire, marchand d’art, sa grande solidarité avec les racisés» par Amadou Bal BA –
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17 mai 2024 5 17 /05 /mai /2024 09:46
«Franz KAFKA (Prague, 3 juillet 1883 – Kierling en Autriche, le 3 juin 1924) : le centenaire de sa mort, écrivain de la désillusion, de la souffrance et de l’espoir, une immense gloire littéraire universelle, à titre posthume» par Amadou Bal BA -  
«Ne pas désespérer même de ce que tu ne désespères pas. Tu te crois déjà au bout de tes possibilités, et voilà que tes forces neuves accourent. C’est justement ce qui s’appelle vivre», écrit dans ses carnets, Franz KAFKA. La mort de Franz KAFKA, le 3 juin 1924, au sanatorium, près de Klosterneuburg, non loin de Vienne, en Autriche, est en fait presque totalement passée inaperçue. Être solitaire et timide, souffrant d’une maladie des poumons, il se soignait parfois avec ses mots «Lorsque l’âme et le cœur ne supportent plus le fardeau, alors les poumons en assument la moitié pour qu’au moins la charge soit à peu près également répartie», écrit-il. La seule trace de sa mort fut un article nécrologique que son amie, Milena JESENSKA (1896-1944), lui a rendu en hommage : «KafkaIl était timide, scrupuleux, paisible et bon, mais il écrivait des livres cruels et douloureux. Son monde grouillait de démons invisibles qui détruisent et déchirent l’homme sans défense. Sa connaissance du monde était insolite et profonde, lui qui, à lui seul, était un monde insolite et profond. C’était un homme et un artiste doué d’une conscience si aiguisée qu’il entendait là où les autres, les sourds, se sentent en sûreté», écrit-elle, dans un journal tchèque, «Narodini Listy», du 6 juin 1924. Alexandre VIALATTE (1901-1971), traducteur, écrivain et critique littéraire, est le premier, en 1920, alors qu’il vivait en Allemagne, à faire découvrir Franz KAFKA, encore inconnu, au public français : «Si je prononce le nom de Kafka, on se demandera de qui je veux parler. Si j’ajoute qu’il est autrichien, et juif, et tchèque maintenant, on se méfiera de ce métèque, mais si j’ajoute qu’il est peut-être le plus grand écrivain du siècle, on me prendra pour un loufoque inoffensif», écrivait-il, en 1931, à André GIDE (1869-1951). Les livres de Franz KAKA sont «cruels et douloureux, plein de moquerie sèche et de l'étonnement sensible d'un homme qui a vu le monde avec tant de clairvoyance qu'il n'a pu le supporter, qu'il a dû mourir», écrit Milena JESENSKA. Par conséquent, «La vie de Franz Kafka, faite de frustration et d'angoisse, semble au premier regard tout à fait vide. Mais, dès qu'on la suit de plus près, il n'en est pas de plus romanesque et, dans son malheur, de plus humaine. Une inguérissable névrose est entretenue à tout moment par l'intelligence la plus aiguë, par la conscience la plus exigeante», écrit Claude DAVIS, un de ses biographes. La vie de KAFKA a été courte et sa contribution littéraire, vouée à la destruction, était inachevée «Toute grande œuvre est en soi incompréhensible et nouvelle, car l’artiste ne dit pas ce qui est mais ce qui n’est pas – et qui s’incarne par le fait qu’il le dit», avait écrit Milena JESENSKA, dans «Tribuna», du 15 août 2020. En 1925, son ami Max BROD publiait «Le Procès» ; c’est le début timide de la notoriété et de la sortie du Purgatoire. Les écrivains africains, Camara LAYE (Voir mon article, Médiapart, 26 novembre 2022) et Olympe BHELY-QUENUM (Voir mon article, Médiapart, 23 octobre 2022) ont revendiqué l’influence, sur eux, de Franz KAFKA.
Éminent porte-parole du modernisme au début du XXème siècle, la contribution littéraire de Franz KAFKA est dominée par les thèmes du symbolisme, du fantastique, de l’absurdité et de la mort. La porte, un motif récurrent dans la contribution littéraire de Franz KAFKA, est une obsession du seuil, de la difficulté de passage, tantôt encore une manifestation du désir pervers, à savoir regarder par le trou de la serrure. «Il y a la porte de la loi. L’homme de la campagne, c’est bien connu, essaye d’y entrer, de l’ouvrir ou qu’on la lui ouvre. En vain : elle restera fermée, il finira par mourir au seuil – et seule la honte lui survivra. Pourtant, c’est bien connu aussi, elle n’était ouverte «que pour lui». Il n’a pas su profiter de cette ouverture», écrit Franz KAFKA. Disciple de Soren KIERKEGAARD (1813-1855) du philosophe danois et de l’allemand Johann Wolfgang Van GOETHE (1749-1832), la contribution littéraire de Franz KAFKA est constituée, dans son conflit entre le moi et le monde, «Kafka avait le sentiment d'être un homme sans patrie ni famille, une lacune, une pure négativité, un jongleur marchant dans le vide. Aussi seul qu'un animal ou qu'un objet abandonné dans une soupente, il avait conscience d'être l'Étranger. Il vivait et écrivait dans sa geôle intérieure, tandis que la nuit glissait sur ses épaules, obéissant à la voix de l'inspiration, à la voix des démons, à la voix des ténèbres, à la voix de l'animal qui restait tapi près de son cœur. Lui qui désirait tant le bonheur, il ne pouvait pourtant pas le supporter, convaincu de devoir écouter l'angoisse et de suivre la voie qu'elle lui désignait», écrit Mario CITATI, un de ses biographes.
Cent ans après la mort de Franz KAFKA, mythe majeur et énigmatique, sa contribution littéraire ne suscitant maintenant que la révérence et un immense engouement, on peut dire que l’Histoire est un grand juge. «Le temps est le seul critique dont l’autorité soit indiscutable. Il réduit à néant des gloires qui avaient paru solides ; il confirme des réputations que l’on avait pu croire fragiles.», écrit l’académicien André MAUROIS (1885-1967). Aucun écrivain n’a eu une influence aussi décisive sur l’évolution du roman moderne que Franz KAFKA, ne célèbre pour l'ambiance particulière de ses œuvres mêlant absurdité et réalisme. Considéré comme l’un des grands représentants mondiaux de la littérature d’avant-garde, avec Flaubert, Proust, Joyce, Faulkner ou Beckett, il y a quelque chose de «Kafkaïen» à étudier cet auteur tchèque. Il nous a légué une contribution littéraire fascinante, pleine d’humour noir, de cynisme avec de courts récits mystérieux menant à des situations fantastiques, des impasses, confusions, ou égarements, avec une dimension philosophique ou sociologique invitant à une profonde méditation, dans notre rapport au monde. En effet, Franz KAFKA «a laissé une œuvre jugée le plus souvent énigmatique, étrange, flirtant avec le fantastique, la métaphysique ou l’absurde, fabuliste réaliste», écrit Bernard LAHIRE, dans «Franz Kafka, élément pour une théorie de la création littéraire». En effet, la contribution littéraire de KAFKA est un renversement de la métaphysique cartésienne, qui prend la forme d'une  refonte des rapports entre le sujet et l'être. La modalité de l'être que découvre le sujet, chez KAFKA, n'est plus celle de l'identité, mais celle de l'étrangeté, ou de l'exclusion. «La véritable réalité est toujours irréaliste», écrit Franz KAFKA.