«Le vrai théâtre politique, c’est affirmer la dignité de l’Homme» dit Peter BROOK. Loin des futiles agitations d’un monde autocentré, paisible, affable, simple, habité par un monde intérieur de la compassion, Peter BROOK dans sa vision d’un théâtre du monde, a considérablement valorisé l’héritage culturel de l’Afrique et de ses diasporas. «Peter Brook est le metteur en scène des points de vue changeants et des vérités multiples. Pendant sa carrière, il a souvent surpris la critique avec des variations soudaines et imprévues. Toutefois, dans le mouvement continuel qui caractérise son théâtre, apparaît une présence constante : l’Afrique. Brook instaure avec ce continent un rapport privilégié fait de nombreux voyages, de mises en scène d’ambiance africaine et d’une longue collaboration avec des acteurs africains. Dans sa recherche de régénération, Brook se détache des tendances théâtrales de l’époque et entreprend un parcours tout à fait original : il est le premier metteur en scène à s’adresser à l’Afrique, tandis que la plupart des artistes de théâtre se tournaient plutôt vers l’Orient, afin de saisir les secrets des anciennes traditions scéniques riches d’une codification millénaire», écrit Rosaria RUFINI, dans «Africultures». En effet, confirmé à 16 ans, comme adepte de l’église anglicane, Peter BROOK, dans ses convictions a continué à s’interroger, à haute voix, sur le sens de l’engagement spirituel : «Cela m’a conduit à penser, «pourquoi ce serait mieux que l’Islam ?» Alors j’ai lu sur l’Islam, et puis sur le Bouddhisme. Et cela m’a conduit en Inde. Mais je suis toujours à la case départ. Goûter, tester, questionner et jamais arriver à une conclusion» dit-il. «Nier ce qui est le fondement de votre voie est artificiel, il s'est toujours interdit de considérer une civilisation, un mode de penser comme supérieur aux autres, à commencer par le sien» dit Peter BROOK.
Aussi, Peter BROOK, animé d’un esprit de Fraternité et de Justice, avait remarqué, qu’en raison de graves préjugés coloniaux, l’Afrique et ses artistes ont été dans les capitales occidentales souvent marginalisés et ostracisés. «J’ai la conviction, qu’au-delà de mille différences réelles, mais superficielles, tous les Hommes sont les mêmes. Si on part de cette conviction, le racisme disparaît» dit Peter BROOK, dans sa grande bienveillance. Par conséquent, Peter BROOK est, avant tout, un metteur en scène ouvrant aux comédiens africains à Paris, des portes restées jusqu’ici fermées, si ce n’étaient que pour des rôles subalternes ou décoratifs. En effet, comme René MARAN, qui voulait être un «Homme pareil aux autres», Peter BROOK a donné l’opportunité aux comédiens africains, exilés à Paris, de pouvoir exprime, pleinement, la mesure de tous leurs talents.
Né à Chiswick, à Londres, le 21 mars 1925, de parents Juifs originaires de Lettonie, territoire russe à l’époque, Peter BROOK, vivant à Paris depuis 1971, avait pour ambition d’abattre les murs d’incompréhension entre les Hommes. «Le Paris que j’ai découvert dans ma jeunesse était une plaque tournante et un centre bouillant pour la culture. A Londres, je trouvais que la culture était refermée sur elle-même. Mon désir de dépasser les frontières avait aussi un sens politique car on ne peut pas se contenter de rester sur son quant-à-soi» dit-il. En 1974, Peter BROOK déniche un lieu insolite et envoûtant, le théâtre des Bouffes du Nord, fermé depuis 20 ans et situé dans le quartier populaire de la Chapelle, entre Barbès et la Gare du Nord. Il y réunit, dans son multiculturalisme des artistes de tous les pays, notamment Africains, jusqu’ici marginalisés : «La découverte des Bouffes du Nord n’a pas été due au hasard: c’était la suite des trois ans d’exploration, en Afrique et ailleurs, avec le Centre International de Créations Théâtrale. Nous avons d’abord fait des centaines d’improvisations dans des lieux de la région parisienne qui n’avaient jamais été utilisés pour des spectacles. Dans des foyers pour immigrés, des écoles, avec des handicapés, dans des hôpitaux, des prisons. Puis nous sommes allés en Afrique et nous avons constaté que, n’importe où, on pouvait mettre un tapis et avoir des gens assis autour» dit Peter BROOK.
Citoyen du monde, riche de ses rencontres, Peter BROOK tient son ouverture aux autres de ses parents : «Ce sont mes parents qui m'ont donné ce goût des voyages. Mon père y voyait la meilleure des formations. De même que ma mère. C'étaient des gens ouverts. Ils croyaient au progrès par la science. Autant qu'une conviction, c'était leur vraie foi» dit-il. En effet, son père, d’une famille d’esprit libéral, Simon BROOK, né à Dvinsk en 1888, un partisan des Mencheviks et adepte de KARENSKI, s’expatriera à Liège, en Belgique. Il prend le nom de «BROUCK» et étudie la physique, les mathématiques et l’ingénierie électrique. Sa fiancée, Ida JANSEN, chimiste, le rejoint, pour l’épouser en 1914. Le couple part à Bruxelles, puis à Ostende, à Paris, pour s’installer à Londres, là où est né Peter BROOK. Ses parents destinaient son frère Alex, à la médecine ; Peter devait devenir un avocat. En 1942, à 17 ans, il se révolte et veut devenir un metteur en scène pour réaliser des films. «Je voulais être écrivain, journaliste, compositeur, musicien, peintre mais je me suis vite aperçu que je ne pourrais jamais rivaliser avec les artistes qui étaient mes références à l’époque» dit-il.
Peter BROOK s’est d’abord essayé en Grande-Bretagne à diverses œuvres occidentales, comme Hamlet ou l’opéra de Dom Juan. «Dans l’Angleterre extrêmement fermée et grise de ces années-là, je me suis d’abord intéressé au théâtre à cause de l’ambiance qui y régnait : une certaine énergie, une certaine excitation. Le théâtre lui-même était d’un ennui mortel, mais, à l’intérieur de cette forme artificielle, il y avait une grande vitalité» dit-il. S’ennuyant à Londres, esprit mobile, en lutte contre le conformisme, et parfois aventureux, Peter BROOK est constamment en lutte contre la routine «le diable, c’est l’ennui» tel est le titre d’un de ses ouvrages «tout le problème est de savoir s’il y a cette étincelle, cette petite flamme qui s’allume et qui donne une intensité à ce moment ramassé ou pas» écrit-il. Aussi, pour tenir, constamment en éveil son public, il combat sans cesse l’ennui, afin de maintenir la flamme : «Au théâtre, l'ennui, tel le diable, peut surgir à chaque moment. Il suffit d'un rien et il vous saute dessus. Il guette, il est vorace ! Il cherche le moment pour se glisser de manière invisible à l'intérieur d'une action, d'un geste, d'une phrase. Au théâtre, dès qu'apparaît en moi l'ennui, c'est un clignotant rouge !» écrit-il.
A Paris, dans ce désir de découvrir l’autre, Peter BROOK est à l’aise dans ce multiculturalisme «C’est à l’invitation de Jean-Louis Barrault, qui me proposait de diriger un atelier dans le cadre du Théâtre des nations, que j’ai commencé à rencontrer à Paris des acteurs américains, portugais, français, africains et japonais, qui, à l’époque, n’étaient présents sur aucune scène de théâtre. Ce qui m’intéressait, c’était de réunir des gens de cultures différentes pour les faire travailler ensemble sur une même histoire» dit-il. Dans son livre autobiographique, «oublier le temps» paru en 2017, Peter BROOK relate combien une vie peut être habitée par une vocation autant qu’elle peut la faire. L’artiste raconte, dans cet ouvrage, ses débuts à Londres, son installation à Paris, ses rapports avec le groupe Gurdjieff, ainsi que ses rencontres avec des figures culturelles marquantes de la vie culturelle française et internationale. Adoptant un parti pris d'éclectisme, il présente successivement des auteurs aussi divers que Jean-Paul SARTRE, André RUSSIN, Dostoïevski ou Jean ANOUILH. Peter BROOK avait pour ambition d’aider les autres à se faire entendre. En effet, à Paris, Peter BROOK confie le rôle de Polonius, le lord chambellan et conseiller du roi, dans la tragédie de Hamlet, à un comédien malien, Habib DEMBELE, dit Guimba. Spécialiste de William SHAKESPEARE, il s’est frotté à sa production littéraire, à travers ses nombreuses dimensions, toujours insaisissables et inaccessibles «Les pièces de Shakespeare sont comme des planètes. Dans un incessant mouvement, elles s’approchent un moment de nous, puis s’éloignent en tourbillonnant sur leur orbite» écrit-il.
En France, Peter BROOK a fait triompher, à Avignon, son «Mahabharata», une épopée indienne, relatant la lutte dynastique qui oppose deux branches d'une même famille : les Pandava et les Kaurava. Leur opposition ira jusqu'à mettre en péril l'existence du monde même. Peter BROOK ayant repéré Sotigui KOUYATE (1936-2010), un artiste guinéen d’origine, malien de naissance, Burkinabé d’adoption, performant un film de Christian RICHARD, «le courage des autres», il l’engage dans le «Mahabharata», pour incarner le rôle du sage Bhisma, une sorte de voix des Ancêtres, incarnant les forces de l’esprit, avec une certaine fantaisie. En 1990, lors de la création de la pièce, «La Tempête» de William SHAKESPEARE, Peter BROOK confie également à Sotigui KOUYATE le rôle de Prospéro. «Les acteurs occidentaux ont bien des qualités nécessaires pour explorer, dans les pièces de Shakespeare, tout ce qui touche à la colère, à la violence politique, à la souffrance sexuelle, à l’introspection psychologique. Mais il ne leur est pas facile de trouver des images d’un monde invisible» dit Peter BROOK. Cet artiste, devenu l’acteur fétiche de Peter BROOK va collaborer avec Sotigui KOUYATE pendant quatre années, notamment dans «Hamlet», «Qui est là», «Antigone», «l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau» ou le «Costume» du Sud-africain, Can TEMBA, ainsi que «Thierno Bocar» de Amadou Hampâté BA. En définitive, Sotigui KOUYATE considérait Peter BROOK, son mentor, comme une représentation de la figure paternelle : «Je n’ai jamais vu mon père regarder derrière lui. Un bruit, quelqu’un qui appelle, il s’arrêtait, mais ne se retournait pas. Après sa mort, j’ai trouvé une réponse : il m’apprenait ainsi à vivre devant moi, sans jamais revenir en arrière. Je trouve cela dans le travail de Peter Brook : ce qui est fait est fait ; on ne peut pas revenir sur une représentation d’hier pour jouer aujourd’hui» dit Sotigui KOUYATE. Finalement, Sotigui KOUYATE dira «En Occident on dit : «il faut tuer le père, pour être ; chez nous on dit «soit ton père, mais dépasse-le».
A Paris, recherchant une renaissance culturelle, Peter BROOK a mis de la couleur dans l’espace théâtral parisien «Peter Brook a été un des premiers à introduire de la diversité, et ça n’a pas été une petite révolution, un théâtre qui était essentiellement blanc» dit Olivier PY, directeur du théâtre national d’Avignon. En effet, dans ses rapports avec les Africains, Peter BROOK a toujours considéré que la différence, loin de constituer un Mal, est une extraordinaire source d’inspiration, une façon de renouveler constamment son art, en fuyant l’ennui et le conservatisme. Par conséquent, Peter BROOK s’est fixé comme objectif : abattre les cloisons d’incompréhension établis, artificiellement, entre les Hommes par les forces du Chaos. Dans son art, il s’agit de révéler au spectateur ce qui est caché. Peter BROOK est convaincu que l’Afrique, continent des forces de l’esprit, berceau de l’Humanité, concentre et réunit, en elle seule, le profane et le sacré, le visible et l’invisible. Parlant plusieurs langues et beaucoup voyagé et riche de ses rencontres, Peter BROOK, curieux de tout et des autres, a fait du théâtre un puissant outil de rapprochement et de compréhension entre les peuples.
Peter BROOK fut l'un des premiers grands metteurs en scène à s’adresser à l'Afrique, en adaptant en 1979, avec Michael BOWENS, «l’Os» de Birago DIOP : «J’ai toujours été fasciné par la tradition du conte. C’est comme ça que je me suis intéressé aux écrits d’Amadou Hampâté Bâ, Birago Diop ou Thierno Bocar, incarné par Habib DEMBELE dit Guimba. J’aimais la capacité qu’ont les conteurs africains d’inventer des situations comiques pour capter l’attention de leur auditoire» dit Peter BROOK. Peter BROOK avait monté, en 2003, une pièce de théâtre sur un des ouvrages de Amadou Hampâté BA, et concernant son guide spirituel et mentor, Thierno Bocar, persécuté par le colonisateur français. En effet, Peter BROOK est un partisan de l’humanité du sourire : «Être trop sérieux n’est pas très sérieux» disait Amadou Hampâté BA (1900-1991, voir mon article sur ce traditionnaliste). Dans sa solidarité constante et indéfectible avec les racisés, Peter BROOK est en fait un grand humaniste. Dans son livre, «l’espace du vide. Ecrits sur le théâtre», il a de plus grandes ambitions. Le théâtre est pour lui, à coup sûr, une fin. Mais il est aussi le moyen de fonder et d´entretenir une communauté d´hommes et de femmes capables de porter atteinte, par leur seul exemple, à un ordre établi, d´apporter une inquiétude et un bonheur que d´autres arts du spectacle, trop dépendants des forces économiques qu´ils pourraient dénoncer, ne peuvent faire éclore. Aussi, Peter BROOK avait aussi fortement appuyé Raliatou Fifi NIANE, une des filles de Djibril Tamsir NIANE (1932-2021, voir mon article), un traditionnaliste africain.
Peter BROOK s’intéressait aussi aux artistes sud-africains noirs au temps de l’Apartheid : «En Afrique du Sud, avec l’apartheid, c’était infiniment plus compliqué. Dans cette société à la cruauté sans pareil, toute forme d’art était interdite aux Noirs. Mais j’ai découvert une exception à la règle. Par nécessité commerciale l’espace du marché de Johannesburg était un endroit qui ignorait la discrimination raciale. Les Noirs et les Blancs pouvaient s’y côtoyer et c’est ce qui avait conduit Barney Simon à y créer le Market Theater avec la possibilité de réunir une distribution mixte et de jouer devant un public mixte. Nous sommes devenus amis, c’est là que j’ai découvert les pièces d’Athol Fugard que nous avons fait venir plus tard aux Bouffes du Nord» dit-il. En particulier, Peter BROOK engage Habib DEMBELE, dit Guimba, né à San (Mali), candidat aux présidentielles maliennes de 2002, «pour rire», à jouer, en 2006, dans «Sizwe Banzi est mort», une pièce écrite en 1972, par des auteurs Sud-Africains Athol FUGARD, John KANI et Winston NTSHONA. Le rôle d’un comédien comme Habib DEMBELE est de regarder la vie, de la célébrer, de «mettre en relief ce qui normalement passe inaperçu : les impulsions, les réactions, tout ce qui chez l’être humain est caché. Habib Dembélé, qui joue dans Sizwe Banzi, est un acteur qui regarde la vie comme Cartier-Bresson, avec un sens de l’observation et un humour incroyablement aigus. Et quand il joue, parce qu’il a développé un corps qui répond à cela, toute cette observation, cette énergie, et en même temps ces sentiments de joie devant l’absurdité des choses, tout cela s’exprime, se met en relief. C’est bien plus que de l’expression corporelle, ce n’est pas de l’expression personnelle : il ne parle pas que de lui en faisant cela, il parle de quelqu’un d’autre» dit Peter BROOK. Ici, dans ce théâtre dit des «Townships», des laissés-pour-compte, au temps de l’Apartheid, se concentre sur une expérience humaine douloureuse, celle du racisme dans sa dureté la plus crue, un monde déshumanisant de toute une communauté noire frappée d’opprobre. «Dans les années 70, alors que l’on travaillait en Europe et à New York à changer le théâtre, à impliquer non seulement l’intellect de l’acteur mais également tout son corps, voilà que ces acteurs sud-africains, en utilisant les matériaux de base du théâtre – le corps, l’imagination, les mots – arrivaient à une forme théâtrale à laquelle nous aspirions. C’était une forme d’une grande vitalité née dans les rues de la nécessité de communiquer avec l’autre» dit Peter BROOK. En 1950, en Afrique du Sud, sont réglementées les identités raciales, interdites les relations sexuelles et l’union maritale entre membres de «races» différentes, réduite la liberté de déplacement des Noirs, et interdite toute remise en cause de cet ordre. L’Apartheid renforce ce système de ségrégation raciale. Aussi, le personnage principal de cette pièce de théâtre, Sizwe Banzi, un sans-papier, va usurper les papiers, en règle d’un mort, afin de pouvoir survivre. Cependant, en renonçant à son vrai nom, Sizwe Banzi doit également renoncer à son identité, à son histoire et cette perte est une grande déchirure ; en effet, renoncer à son nom, c’est un peu mourir. Peter BROOK fait appel, dans cette pièce de théâtre, à un comédien belge d’origine congolaise, Pitcho Womba KONGA. Dans son humanisme et son souci Peter BROOK qualifie l’Apartheid «d’une des plus monstrueuses distorsions du monde moderne». Cette une tragédie comédie, une leçon de courage et d’humanité, une souffrance et une joie de vivre, fait «rire pour ne pas pleurer» écrit Aurélie OLIVIER. Sizwe Banzi reste encore d’une grande actualité en raison du drame que vivent les migrants et les sans-papiers dans les pays riches. Cette pièce est une puissante de dénonciation de l’oppression et de l’intolérance «Qu’est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? Je suis un homme. J’ai des yeux pour voir» s’écrit Sizwe Banzi.
Dans son éthique de curiosité et d’ouverture aux Africains, Peter BROOK a aussi mis en scène en 1999, aux Bouffes du Nord, une nouvelle d’un Sud-africain, Can THEMBA (1924-1968), «The Suit» ou «le Costume». C’est une évocation, dans un système d’Apartheid déshumanisant, l’injustice, le pardon et la compassion. Le décor qui sent le soufre, avec l’alcool, la musique, le couteau et le sexe, prend place à Sofia, un township noir de la banlieue de Johannesburg, maintenant rasé, incarnant un îlot de joie de vivre. «Cette township avec ses crimes, ses putes, ses musiciens de jazz assoiffés d'illicites ambroisies, ses poètes, ses photographes, ses écrivains, ses gangsters gorgés de cinéma américain et même quelques Blancs : un mélange de gens, une concentration de pensée et de talent ayant à voir avec le Saint-Germain-des-Prés ou le Tanger de naguère. a misère en plus», dit Peter BROOK. Il fait appel à trois comédiens noirs talentueux : Bakary SANGARE, français originaire du Mali, pour le rôle de Philémon, le mari cocu, Mathilde JEAN-BAPTISTE, une actrice anglaise d’ascendance antiguaise et saint-Lucienne, ou l’héroïne Mathilde, une femme fatale, une beauté forte sensuelle et libre, et un acteur malien, Sotigui KOUYATE qui sera l’amant, Maphikela. Par conséquent, c’est une pièce de théâtre relatant une histoire d’adultère, dans un contexte de l’Apartheid, en Afrique du Sud. En effet, Philémon, un homme noir a le tort de rentrer chez lui à une heure inhabituelle. Il trouve sa femme, Mathilde, au lit avec un autre homme noir, Maphikela. Il n’est pas du genre à chercher la bagarre et se cache pendant que l’amant, se sentant repéré, part à peu près nu dans la rue. Reste son costume. Le mari, mesquin et rancunier, finira par faire semblant de pardonner, mais sous forme d’un cadeau empoisonné. Le mari salue cette veste et ce pantalon avec solennité, comme s’il s’agissait d’un être humain, et demande à sa femme de s’en occuper comme d’un ami précieux, de ne pas le quitter, de le bichonner, de le nourrir. Voilà la femme adultère contrainte de vivre, non pas avec un amant, mais avec son fantôme. Par conséquent, le vrai pardon ne viendra pas, le souvenir de la faute étant entretenu à travers le costume, se dressant entre ce couple, un obstacle à tout oubli. L’auteur de cette pièce, Can THEMBA, dans «le costume», une pièce écrite en 1950, une histoire simple, belle et tragique, mais longtemps censurée, dénonçait la mauvais traitement des femmes. Ecrivain talentueux et maudit, Can THEMBA, détruit par l’Apartheid, est mort en exil, miné par l’alcool et le désespoir. «Can Themba était le plus brillant et jeune journaliste du Drama, feuille locale. Il brûla sa vie. Nuit après nuit, il racontait des histoires. Il n'écrivit que des nouvelles dans ce pays où un Noir, même extralucide, n'avait pas le droit de publier. S'exila au Lesotho, où il s'ennuya, près de sa femme, conscient de la fragilité de l'instant, dans une sorte d'intuition de n'en avoir pas pour longtemps» dit Peter BROOK. Mathilde, l’héroïne de cette pièce, se laisse mourir. En dépit de l’esprit de fête étourdissant à Sophia, cette pièce est un clin d’œil aux mauvais traitements subis par les Noirs au temps de l’Apartheid, en train de mourir.
En définitive, Peter BROOK ambitionnait de rendre ses spectateurs, plus humains et bienveillants. Apôtre de l'espace vide, d'une scène multiculturelle, Peter BROOK se plaçait résolument dans le champ de la Fraternité et de la Justice. Pour Peter BROOK le théâtre est un équilibre du lointain et du proche, dans le but de révéler quelque chose d'inattendu, de non banal, mais l'exotique doit ramener le spectateur, non pas à l'étrangeté mais à la banalité du quotidien. «Je peux prendre n'importe quel espace vide et l'appeler une scène» disait-il. Par conséquent, Peter BROOK monte des pièces de théâtre nourries d'exotisme, avec des acteurs de différentes cultures, et tournera dans le monde entier, souvent dans des lieux inédits : des villages africains jusqu'aux rues du Bronx, en passant par la banlieue parisienne.
Mettant en place des lieux de théâtre dans des espaces inhabituels (Township, villages africains, quartiers excentrés), Peter BROOK a révolutionné le décor et la mise en scène, «Maître de l’espace vide, Peter Brook fut l’un des premiers à jeter aux orties l’apparat des décors et du rideau de scène pour placer le comédien au premier plan et témoigner de la diversité des cultures en s’entourant d’une troupe internationale» écrit Marie-Hélène ESTIENNE dans «Les Inrockuptibles» du 25 juin 2019. Il s’est entouré d’acteurs africains avec une dimension de conteurs ou de griots, comme Sotigui KOUYATE ou Habib DEMBELE. Passionné du piano, Peter BROOK, metteur en scène, acteur, réalisateur et écrivain, estime qu'un bon comédien doit pouvoir habiter son personnage tout en le remplissant de la plénitude de son vécu et pour cela l'artiste doit se jeter à l'eau. Il renouvelle la mise en scène par une écriture contemporaine, un décor audacieux. «Au début de ma carrière, en Angleterre, je me suis vite rendu compte que le théâtre était totalement bloqué par des conventions préétablies. Mon boulot a toujours été de m’en libérer pour le sortir des ornières de la tradition» dit Peter BROOK. Il se libère alors de l'autorité du plan de mise en scène préalablement établi pour se fier aux rapports directs avec les comédiens et renouveler le processus d'élaboration du spectacle.
En définitive, dans son humanisme, et devant l’ascension des forces du Chaos, Peter BROOK nous invite, en permanence, à garder l’espérance et à persévérer : «Ne t’arrête jamais. On recule toujours dès que quelque chose est sur le point de se produire» disait-il.
Wally SECK a été très touché par cet extraordinaire élan de solidarité national et international "Nous avons l'esprit tranquille, parce qu'on n'est pas seuls. C'est la première fois que nous traversons ce genre de situation. Papa Thione est parti, mais nous pouvons compter sur vous" dit-il.
Mes sincères condoléances à la famille de Thione SECK et à tout le peuple sénégalais, durement éprouvé par ces temps sombres. Même après la nuit la plus obscure, le jour se lèvera et le soleil brillera sur notre planète disait, en substance, Victor HUGO.
Actrice au cinéma et comédienne de théâtre, Cicely TYSON, pionnière avec sa longue et prolifique carrière de plus de 70 ans, est reconnue comme tous comme très talentueuse : «Tout comme Je Suis est ma vérité. C'est moi, clair et sans vernis, avec les paillettes et la guirlande mis de côté. Ici, je suis en effet Cicely, l'actrice qui a eu la chance de décorer la scène et l'écran pendant six décennies. Pourtant, je suis aussi la fille d'église qui parlait rarement un mot. Je suis l'adolescente qui a cherché du réconfort dans les vers du vieil hymne pour lequel ce livre est nommé. Je suis une fille et une mère, une sœur et une amie. Je suis une observatrice de la nature humaine et rêveuse de rêves audacieux. Je suis une femme qui a souffert autant que j'ai aimé, une enfant de Dieu divinement guidée par Sa main. Et ici, dans ma neuvième décennie, je suis une femme qui, depuis longtemps enfin, a quelque chose de significatif à dire» écrit-elle dans ses mémoires. En militante résolue de la cause des droits civiques, Cicely TYSON a pris la position que son art devait refléter les temps et propulser les Noirs vers l'avant. C'était sa mission de choisir des pièces avec l'intention de changer la façon dont les femmes noires étaient perçues, en reflétant notre dignité. Et c'est exactement ce qu'elle a fait. Cicely TYSON refusait tous les rôles au cinéma de prostituée ou de domestique. A l’époque des lois ségrégationnistes, l’actrice noire était assimilée à la vulgarité, au sexe, à la violence, à la danse ou à la musique, des préjugés que Cicely TYSON ne voudrait pas perpétuer. En effet, Cicely TYSON déclinait ces assignations et considérait qu’elle pouvait interpréter n’importe quel rôle «I know instantly when I should take a role. If my skin tingles as I read the script It is absolutely something I must do. But if my stomac churns, I do not touch the project. As an artist, I should be able to portray anyone” dit-elle sans ses mémoires “Just As I am”.
Cicely TYSON jouait souvent des personnages de femmes fortes, insurgées contre l’esclavage et luttant pour leur dignité. Ainsi, dans la fameuse série, «Roots» ou «Racines» d’Alex HALEY (1921-1992), Cicely TYSON incarne le personnage de Bineta, la mère de Kounta KINTé, (Joh Amos), Maya ANGELOU (1928-2014) est la grand-mère, Nyo Boto. La naissance de Kounta KINTé est célébrée, Gambie, avec un grand faste ; c’est un hommage à l’Afrique des animiste ou l’esprit des ancêtres. Capturé au cours d’une expédition en forêt, Kounta KINTé est embarqué, dans des conditions atroces, en bâteau, à destination, pour être réduit en esclavage. Alex HALEY, craignant des réactions négatives d’une partie de cette Amérique suprémaciste, avait décidé de faire diffuser toutes les séries de Racines en une seule semaine, du 23 au 30 janvier 1977, sur ABC. Mais le succès dépassa tous les espoirs. Cette série est un grand début dans la dénonciation des 400 années d’esclavage et une puissante regénération de l’esprit des droits civiques.
Cicely TYSON est née à Harlem, New York, le 19 décembre 1933, d’une fratrie de trois enfants. Ses parents, des immigrants de la Caraïbe arrivés aux Etats-Unis en 1919 et sont originaires d’une petite, l’île de Niévès (Nives en anglais), de 92 kilomètre carrés, non loin de Porto-Rico, une colonie britannique indépendante depuis 1983. Ils sont de conditions modestes, son père, William Augustine TYSON, étant ouvrier charpentier et peintre en bâtiment. Sa mère, Frederica Theodosia HUGGINS, une domestique très dévote, considérait que le fait d’aller au cinéma ou au théâtre. En effet, sa famille résidant dans un quartier pauvre fréquenté par des prostituées, des drogués et divers marginaux, sa mère avait associé la création artistique à un lieu de débauche et de déperdition, et l’avait évincée de la maison pendant trois ans. Mais Cicely, initialement, très timide, se passionnera pour le cinéma. Après ses études, elle exercera le métier de secrétaire à la Croix rouge. Très soigneuse de son look et prenant grand soin de ses cheveux, elle est recrutée comme top model par «Artois Studio Playhouse». Cicely n’était pas née pour rester longtemps secrétaire “I know that God didnot put me on the face of this earth to being on a typewriter for the rest of my life !” dit-elle. Cicely TYSON suit des cours chez «Barbara Modeling School». Cicely fera, plusieurs fois, la couverture du magazine «Ebony».
Cicely commence par de petits rôles au cinéma, en 1956 dans «Dark of the Moon» et la fait la couverture de Vogue Harper’s Bazar. En 1959, elle joue dans une série télévisée «CBS Camera Three». En 1961, Jean GENET (1910-1986) la fait jouer, à Broadway, dans l’une de ses pièces de théâtre, «The Black» (Les Nègres), aux côtés de Maya ANGELOU. Dans cette pièce de théâtre, quand la Cour accuse les Nègres d’un crime, ces derniers deviennent comédiens et offrent pour leur jugement une belle tragédie grotesque. Les Nègres comédiens, possédés par une fureur carnavalesque, se réunissent cérémonieusement dans un lieu clandestin pour jouer à la tragédie classique devant la Cour juge. Ils répètent pour la énième fois Le Meurtre de la Blanche et inventent alors la mort, la vie et l’amour. Les Nègres jouent à paraître ce qu’ils sont déjà et à être ce qu’ils ne sont pas. Non loin, une révolte se prépare. Dans la préface des Nègres, publiée pour l’édition de la pléiade, Jean GENET explique : «Cette pièce est écrite non pour les Noirs, mais contre les Blancs». Jean GENET ne se met pas à la place des Noirs, mais s’efforce de mettre le spectateur blanc face à son propre racisme et les stéréotypes de la négritude sur lesquels il repose. Cette pièce, une solidarité envers tous les opprimés du monde, se joue en Amérique, dans les années 60, dans un contexte racialisé de lutte pour les droits civiques, contre la violence des suprémacistes blancs, le mythe du «Rêve américain » d’égalité ne s’applique, en fait, qu’à certains, et excluait les Noirs. C’est à cette occasion, Cicely TYSON se rase la tête, à une époque où la mode est aux cheveux lisses des femmes blanches ; aussi les femmes afro-américaines commencent à l’imiter.
En 1962, elle remporte le «Drama Desk Vernon Price» dans «Moon over a Rainbow Shawl». A partir de 1963, Cicely participe à différents shows télévisés, notamment avec George C SCOTT (1927-1999) et à la série «East Side/West Side», dans laquelle elle a un rôle de secrétaire ; ce qui donne une plus grande notoriété. Cicely collabore avec Sammy DAVIS Jr, en 1966, un opéra comique «The Guilding Light».
Le succès viendra en particulier, en 1972, pour son rôle de Rebecca Morgan, dans le drame, «Sounder» ; c’est une mère-courage, en Louisiane, dans un Sud rural et raciste, lors de la Grande dépression, assurant seule l’éducation de ses enfants. Parce que leur chien «Sounder» est vieux, David et son père, Nathan, ne ramènent rien de la chasse. Le père vole de la viande, et, est jeté en prison pendant un an. «Sounder» c’est le titre du film, mais aussi, c’est le nom du chien de la famille qui y joue un rôle important. Le fils aîné de la famille a un goût prononcé de la lecture. L’éducation est considérée comme un des puissants moyens de rédemption et de promotion sociale. En 1974, Cicely TYSON est récompensée d’un Emmy de la meilleure actrice dans «Autobiography of Miss Jane Pittman», un téléfilm basé sur une nouvelle écrite en 1971 par Ernest J. GAINES relate, par le biais du personnage de Miss Jane, cent ans d’histoire américaine, de la guerre de Sécession à la lutte pour les droits civiques. Miss Jane raconte son «autobiographie» à la demande d’un jeune professeur d’histoire noir. Cependant, Ernest GAINS précise que l’ouvrage est bien une autobiographie fictive ; car il ne s’agit pas de dire une personne mais un peuple. Il précise souvent que Miss Jane est un composé de plusieurs personnes dont le récit lui-même est relayé par plusieurs protagonistes et s’élabore autour de leur témoignage. Par conséquent, dans ce film, Cicely TYSON joue le rôle de Miss Jane, une femme noire du Sud, née en esclavage dans les années 1850 et vivant pour devenir membre du mouvement des droits civiques dans les années 1960. En 1976, Cicely TYSON participe au film «La Couleur des sentiments» dans lequel trois femmes, que l'Apartheid social alors en vigueur oppose, se lancent le défi à la fois simple et fou, d'écrire ensemble un livre sur leurs conditions de vie. Une jeune blanche, Skeeter (Emma STONE), qui vient de terminer ses études de journalisme, rentre dans sa famille à Jackson (Missippi). La lutte pour les droits civiques vient de démarrer et le Ku Klux Klan fait encore sa loi dans le Sud. Skeeter a choisi de faire une enquête sur les conditions de vie des bonnes noires chargées à l'époque des enfants, de la cuisine et de l'entretien de la maison. Elle parvient à convaincre deux d'entre elles, la timide Aibileen (Viola DAVIS) et la rebelle Minny (Octavia SPENCER) de témoigner des brimades et des humiliations dont elles sont victimes au quotidien. Ce faisant elles prennent le risque d'être identifiées et chassées par leurs maîtres. Hostiles au départ, les autres domestiques du quartier les rejoignent, elles apportent des récits qui permettent la rédaction d'un livre-choc qui devient un best-seller. Au fur et à mesure qu'elle se rapproche de ces femmes, Skeeter est rejetée par ses amies d'enfance blanches accrochées à leurs privilèges et enfermées dans leurs vies de femmes au foyer oisives. Cicely TYSON joue le rôle de Constantine. C’est un puissant réquisitoire contre le racisme et l’esclavage. En effet, grâce à une solidarité blanche insidieuse, les employés noirs ne peuvent quitter un travail sans risquer de ne jamais en retrouver, n’ont aucun accès à l’emprunt, peuvent être accusés de vol sans preuve, sont fermement punis si vol il y a, et risquent d’être abattus par le Ku Klux Klan.
Cicely TYSON disparaît le 28 janvier 2021, à l’âge de 96 ans et l’hommage est planétaire. Cicely TYSON s’était mariée à deux reprises ; une première fois à 18 ans, le 27 décembre 1942, avec Keneth FRANKLIN (1923-2007), qui disparaît huit mois seulement après cette union. Cicely TYSON a rencontré Keneth FRANKLIN pour la première fois à l'église après que le pasteur les ait présentés tous les deux. Elle n'avait que 17 ans. «Kenneth était sur la liste approuvée de ma mère avant même de l'avoir vu. Il a coché la seule case qui lui semblait importante : il était la progéniture d'un révérend» écrit-elle. Ils ont commencé à sortir ensemble, et un jour lors de la visite de sa maison, Keneth FRANKLIN a abusé d’elle : «Nos caresses sont devenues plus intenses et il a soulevé ma robe. J'ai légèrement reculé, mais avant de pouvoir reculer, il était en moi. Cet incident s'est terminé par une grossesse» écrit Cicely TYSON dans ses mémoires. Le divorce avec FRANKLIN ne sera prononcé qu’en 1956. Cicely TYSON est également sorti avec Jimmy KIND pendant quelques mois et Billy Dee WILLIAMS pendant 9 ans de 1957 à 1966. Cicely TYSON entretient, pendant de nombreuses années, à partir de 1965, une liaison, hors mariage, avec Miles DAVIS (1926-1991), un homme à femmes et drogué. Ils ne se marieront qu’en 1981 pour divorcer en 1988, mais entretiendront toujours une relation amicale. Miles DAVIS est resté le grand amour de sa vie. Cicely TYSON est restée, globalement discrète sur sa vie privée, et on ne sait pas exactement si elle a eu des enfants. Pourtant, dans ses mémoires, qui viennent de paraître, Cicely TYSON parle d’une file, «Joan» et plonge dans les détails de sa naissance et de son enfance ; elle évoque «une relation, aussi fragile que précieuse», et elle lui dédie ses mémoires : «Celui qui a payé le plus grand prix pour ce cadeau à tous» dit-elle à Joan.
Indications bibliograhiques
BEDOS (Guy), Petites drôleries et autres méchancetés, Paris, Seuil, 1992, 132 pages ;