12 février 2022
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«Marian ANDERSON (1897-1993), première grande Diva noire internationale de la musique classique, une Voix du Siècle» par Amadou Bal BA - http://baamadou.over-blog.fr/
«Vous avez une telle voix qu’il n’en existe qu’une par Siècle» disait de Marian ANDERSON au festival de Salzbourg, en 1935, le chef d’orchestre italien, Arturo TOSCANINI (1867-1957). Les mélomanes de la musique classique célèbrent encore, à juste titre, Maria CALLAS (1923-1977), mais presque tous ont oublié que la première grande diva internationale qu’était Marian ANDERSON. Dans sa longue carrière, entre 1925 et 1965, Marian ANDERSON démarre d’abord par des airs de «Negro spirituals», puis franchit ensuite toutes les barrières raciales ; elle devient la grande spécialiste des mélodies classiques européennes, comme Jean-Sébastien BACH (1685-1750), Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759), Franz SCHUBERT (1797-1828), Robert SCHUMANN (1810-1856), Johannes BRAHMS (1833-1897), Domenico SCARLATTI (1685-1757) ou Giuseppe VERDI (1813-1901). Aussi, sous ce registre de la musique classique, Marian ANDERSON devient mondialement reconnue comme la spécialiste du Lieder et de l'Oratorio. Marian ANDERSON a donc chanté, magistralement, «Casta Diva» du compositeur italien Vincenzo BELLINI (1801-1935), «Ave Maria», ou «No Body Knows the Trouble I Have Seen». En effet, Marian ANDERSON, avec sa voix contralto, «était de ces rares chanteuses qui, par la grâce de leur seul timbre de voix, avait la capacité de bouleverser le public. Son chant était la simplicité même, tout le contraire de celui d'une Schwarzkopf par exemple. Nulle sophistication, nul artifice dans ses interprétations, mais une ligne plastique parfaite et une humanité qui, d'une certaine façon, n'est pas sans évoquer la religiosité du chant de Mahalia Jackson» écrit le journal «Le Monde» en hommage, le 10 avril 1993.
Notre amie, Rita COBURN WHACK, originaire de l’Illinois, réalisatrice, écrivaine, productrice et actrice, vient de consacrer, en 2022, à Marian ANDERSON, «The Whole in her Hands», un documentaire réparant ainsi cette injustice traditionnelle de l’omission ou du silence. Mme Rita CORBUN est également réalisatrice de nombreux autres documentaires, notamment en 2012 une série télévisée, «Apollo Live» et en 2016 sur l’écrivaine Maya ANGELOU (1928-2014), «I Still Rise», qu’elle était venue présenter, les 10 et 11 octobre 2016, au théâtre de l’Odéon, à Paris 6ème.
Marian ANDERSON est une chanteuse engagée, au temps de la ségrégation raciales. Derrière ses combats, il y a le mythe et une vie entière consacrée à la lutte pour l'égalité des droits civiques. Marian ANDERSON a surmonté la pauvreté et la discrimination raciale, avec dignité, talent et courage. «La peur est une maladie qui nous éloigne de la logique et rend l’homme inhumain» dit Marian ANDERSON. En 1939, Sol HUROK (1888-1974), impresario, l’agent de Marian ANDERSON, qui avait effectué des tournées triomphales en Europe et en Scandinavie, chanté à New York, dans les écoles et dans les églises, voulait qu’elle se produise à Constitution Hall, à Washington. «Le but de M. Hurok était de me faire accepter comme une artiste digne de figurer parmi les plus grands, et il s’ingéniait à me faire engager partout où l’on s’attendait à voir et entendre les meilleurs artistes» écrit Marian ANDERSON, dans ses mémoires. Cependant, en raison des lois sur la ségrégation raciale, «The Daugthers of American Revolution» ou les «Filles de la Révolution américaine», propriétaires de la salle, Constitution Hall, refusèrent son accès à Marian ANDERSON, en raison de sa couleur. «Quant à mes propres sentiments, il s’y mêlait de la tristesse et de la honte. Je plaignais ceux qui ont causé ce scandale. Il me semblait que leur attitude indiquait un manque de compréhension, non pas tellement parce qu’ils me persécutaient personnellement ou parce qu’ils cherchaient à persécuter, à travers moi, ma race, mais surtout parce qu’ils faisaient ce qui n’est ni raisonnable ni utile. Si j’avais pu atténuer la haine des uns et des autres, je l’aurais fait avec joie» écrit-elle. A cette époque, pourtant sous la présidence de Franklin ROOSEVELT, les Noirs n’avaient même pas le droit d’essayer les habits ou un chapeau dans les magasins de vêtements. Déjà célèbre en Europe, mais son propre pays, Marian ANDERSON doit s’asseoir au fond du bus et passer par l’entrée de service pour pénétrer dans les luxueux hôtels où elle se produit. Eleanor ROOSEVELT (1884-1962), admiratrice et de présidente d’honneur des Filles de la Révolution américaine», démissionne immédiatement de cette institution ségrégée. Sur son intervention, auprès de Harold Leclair ICKES (1874-1952), Ministre de l’intérieur, Marian chantera, le 9 avril 1939, au Lincoln Memorial, devant 75000 personnes de toutes les couleurs ; c’est le premier plus grand rassemblement, sans précédent, dans l’histoire des Etats-Unis. «Aussi loin que l’œil pouvait porter, il me semblait voir des gens formant un gigantesque demi-cercle depuis le Memorial de Lincoln, autour de la pièce d’eau et jusqu’à la flèche formée par le monument commémoratif de George WASHINGTON. J’avais le sentiment qu’une vague de bonne volonté montait de ces gens, et qu’elle m’engloutissait presque» écrit Marian ANDERSON. A ce concert est retransmis à la radio, Marian chante notamment l’hymne national des Etats-Unis, l’Ave Maria de Schubert et des Negros Spirituals.
Cette rencontre du Lincoln Memorial est un puissant défi contre les lois et pratiques ségrégationnistes, et a donc brisé la glace. «On perd énormément de temps à haïr des gens» dit Marian ANDERSON. Aussi, Marian ANDERSON, dans cette lutte symbolique, ouvert la voie à d’autres artistes, comme Leontyne PRICE (née le 10 février 1927, 95 ans), Grace BUMBRY (née le 4 janvier 1937, 85 ans) ou Jessye NORMAN (1945-2019). L’artiste se produire, en 1955, au Metropolitan House, à New York et lors aussi, le 20 janvier 1961, de la prise de fonction du président John Fitzgerald KENNEDY (1917-1963). L’association, «The Daugthers of American Revolution» invitera, finalement, Marian ANDERSON à chanter le 13 mars 1943, au «Constitutional Hall Recital» ; ce que l’artiste a accepté, sous réserve que la politique discriminatoire soit abolie au sein de cette institution. «Avec le temps, les règles qui gouvernaient l’administration de la Constitution Hall furent modifiées. La salle peut être utilisée par n’importe quel artiste noir. La polémique pris fin, et c’est bien ainsi» écrit Marian ANDERSON.
L’artiste sera la première femme noire à chanter le 7 janvier 1955 au Metropolitan Opera, brisant ainsi la barrière raciale et y interprète le rôle d'Ulrica dans Un bal masqué de Guiseppe VERDI (1813-1901). Marian ANDERSON, viendra le 28 août 1963, à Washington, au «Lincoln Memorial», aux côtés de Martin Luther KING (1929-1968), à l’occasion de son célèbre discours, «I Have a Dream», chanter «l’Ave Maria» de Franz SCHUBERT et des Negros Spirituals. En effet, l’immense concert, auparavant, en 1939, de Marian ANDERSON, a fortement inspiré Martin Luther KING. En effet, Martin Luther KING citera Marian ANDERSON même comme un déclencheur de son mouvement pacifique contre la ségrégation raciale, avec cette voix et cette force, qui l’ont touché profondément dans l’enfance et qu’il n’oubliera jamais. Marian ANDERSON donnera son dernier concert, le 19 avril 1965, au Carnegie Hall.
Marian ANDERSON est née à la rue Webster, dans le quartier Sud de Philadelphie, le 17 février 1902, dans une famille très pauvre. Les parents, habitant un logement exigu, chez sa grand-mère paternelle, une femme très autoritaire, déménageront à la rue Colorado, à Philadelphie. Son père, John Berkley ANDERSON (1876-1910), un baptiste, vend des glaces et du charbon au marché : «Je me souviens encore très bien de mon père. Je le vois bel homme, de teint sombre, ni très gros, ni trop mince. Il travaillait dur et il prend grand soin de sa famille» écrit Marian ANDERSON. Sa mère, Delilah Ann RUCKER (1874-1964), une méthodiste, originaire de Virginie, avait été institutrice à Lynchburg ; une fois installée, avec son mari, à Philadelphie, elle est devenu, occasionnellement, lingère et employée de maison : «De son vivant, ma mère avait assez à faire à la maison, pour ne pas travailler au-dehors. Nous étions trois filles, Alice, Ethel et moi. Ce n’était que lorsque l’argent manquait pour acheter quelque chose dont nous avions besoin qu’elle allait faire des ménages en ville. (…) Enfant, ma mère avait fait partie des chorales de sa paroisse» écrit Marian ANDERSON. Sa mère surveillait, avec grand soin, leurs études, et vérifiait que le travail scolaire soit bien fait, peu importe le temps que cela prendra ; cela n’a pas d’importance : «Il m’a fallu longtemps pour comprendre la sagesse de ce conseil. Oui, la seule chose qui compte, c’est de faire du bon travail, sans se soucier du temps qu’il faudra» écrit Marian ANDERSON. Son père, victime d’un accident de travail, blessé à la tête avait une tumeur ; il meurt quand Marian n’avait que 8 ans. Aussi, sa mère et ses enfants vont vivre chez ses grands-parents paternels, une maison surpeuplée, bruyante, mais avec un vieil orgue au salon. Cependant, l’artiste affirme avoir été heureuse pendant son enfance : «Aussi longtemps que mon père vécut, je n’ai guère connu que des joies. (…). Si la femme que je suis se rend compte de tout ce qui lui a manqué, l’enfant que j’étais n’en a pas souffert, car elle se considérait comme comblée dans l’univers qui était le sien» écrit-elle dans ses mémoires, «ma voix et ma vie».
A l’école, la jeune Marian est déjà passionnée par les leçons de musique «Chaque fois que nous étions en classe et des élèves chantaient dans une salle voisine, j’étais si distraite que je n’entendais pas ce que disait la maîtresse. J’étais aussi absente que si mon corps avait été ailleurs. J’aimais tellement le chant que mon plus grand bonheur était le jour où revenait la leçon de musique» écrit Marian ANDERSON. Son père lui offre, à l’âge de 8 ans, le piano destiné à son frère, installé dans le salon, mais inutilisé. Cependant, sa famille n’avait pas assez de moyens pour lui payer des leçons particulières. Lors d’une sortie, Marian entendit, de la rue, le son d’un piano et découvre que c’est un Noir qui le jouait ; elle réalise, elle aussi qu’elle peut y arriver «N’oublie jamais que, où que tu sois et quoi que tu fasses, il y a toujours quelqu’un qui te voit» lui disait sa mère. Avec l’argent gagné en lavant les marches des maisons, Marian ayant retrouvé la confiance en elle-même, apprendra même à jouer du violon, et pu acquérir, chez prêteur à gage, un Stradivarius. Cependant, ne sachant pas faire des gammes, et ayant maltraité son violon, une corde cassa. Chanteuse contralto au temple, avec l’aide d’une tante, une sœur de son père, le prédicateur, une certaine Marion Crowley NEWBY, demanda à Marian de participer à différents concerts. «Si je n’avais pas eu la passion du chant, j’aurais eu celle de la médecine. J’aimais chanter et, de même que j’aimais être écoutée, j’aimais écouter les autres lorsqu’ils chantaient» écrit-elle.
En raison de l’éclat naturel de sa voix et dès l’âge de 7 ans, Marian est surnommée «Bébé contralto». Transférée à la High School de Philadelphie Sud, Marian ANDERSON fait une décisive rencontre chez le docteur Lucy WILSON, une soprano, Lisa ROMA, (1892-1985). Dans son nouveau logement, il y avait un piano «enfant, comme j’avais beaucoup d’oreille, je m’amusais à jouer des airs sans connaître la musique et sans être capable de lire les notes » écrit Marian ANDERSON, dans ses mémoires. Enfant, elle commence d’abord par chanter dans «The Union Baptist Church». En effet «le temple était une partie importante de ma vie, aussi bien socialement que musicalement. A treize ans, j’avais été admise dans la chorale des adultes, mais je n’avais pas cessé pour autant de chanter dans celle des enfants. En fait, j’ai participé aux deux, même après ma vingtième année. Chanter était pour moi quelque chose de sérieux et j’avais le sens de la responsabilité en tenant ma première partie dans les chœurs. Je ne m’occupais ni du style, ni de la technique. Je chantais partie des contraltos, mais je pouvais aussi faire celle des sopranos ou des ténors ou, au besoin aussi, celles des barytons, à condition que je prenne les airs une octave au-dessus» dit-elle.
Membre de la chorale adulte, Marian est allée, avec le révérend PARKS, à New York chanter au temple abyssinien, la grande église de Harlem. Sa paroisse attirait de nombreux étrangers de passage à Philadelphie et des amateurs de musique de la ville, comme le ténor Roland Wiltse HAYES ténor Roland HAYES (1877-1977), qui devient un modèle, pour la jeune Marian. Il chantaient de vieux airs italiens, des Lieder allemands et des chansons françaises. Roland HAYES suggéra aux parents de Marian qu’elle s’oriente vers des études professionnelles de musique. L’église baptiste organisa une quête afin de payer les cours de chant chez Arthur J. HUBBARD. Progressivement, Marian participe à divers événements sociaux et devient membre de la Société Chorale de Philadelphie, un groupe de Noirs, dirigé par Alfred HILL. En dépit de ces diverses relations, Marian chantait d’instinct, et devait donc perfectionner davantage son art et entre en relation avec un autre professeur de chant, John Thomas BUTLER. Le registre de Marian couvrant trois octaves, Mary SAUNDERS PATTERSON (1859-1925), une soprano et une voisine noire, lui donne gratuitement des cours de technique vocale. Les leçons sont payées par John Thomas BUTLER. «Elle m’appris qu’en chantant, il fallait prendre garde de ne pas dépenser toute sa voix, mais ne s’en servir que modérément et sans donner tout entière» écrit-elle. Il fallait apprendre à respirer en chantant, à bien poser et placer la voix, à ne pas la faire sortir par le nez, mais par le masque. C’est Mme PATTERSON qui recommanda à Marian de changer de professeur et de suivre les cours d’Agnès REIFSNEIDER (1887-1949), qui lui appris à travailler les registres du Mezzo et du Contralto, ainsi que les Lieder de Brahms. Agnès REIFSNEIDER est également membre du jury d’attribution des bourses. C’est Miss ROMA qui lui présenta Giuseppe BOGHETTI (1896-1941) qui allait être son professeur de chant, jusqu’à sa mort. Lors de l’audition, Marian Chante «Deep River» ou la «Rivière profonde». A la fin de cette prestation, Giuseppe BOGHETTI lui dit «Je m’arrangerai pour vous prendre tout de suite. Je n’aurai pas besoin plus de deux ans pour que vous soyez capable de chanter où vous voudrez et devant qui vous voudrez». Un concert fut organisé au temple par Mrs Ida ASBURY et les frais récoltés (600 dollars) ont servi à payer les leçons de Giuseppe BOGHETTI. «D’abord, je ne fis rien que chanter la bouche fermée, jusqu’à ce que je sente bien la vibration dans toute la tête. Ensuite, je devais essayer de trouver exactement l’endroit où placer le son, sans aide» dit Marian ANDERSON. Il lui apprit, non seulement tout le registre, du plus grave au plus aigu, mais aussi la respiration, en tenant les côtés de sa poitrine étroitement serrée, et de respirer lentement, afin de conserver son souffle, le plus longtemps possible.
En 1921, elle voulait s’orienter définitivement vers des études de musique, mais l’académie de musique de Philadelphie n’acceptait pas, à l’époque, les Noirs. «Les préjugés sont comme un cheveu sur la joue. Vous ne pouvez pas le voir, vous ne pouvez pas le toucher mais vous essayez toujours de l’enlever, car c’est une sensation irritante» dit Marian ANDERSON. En effet, venue s’inscrire à l’école de musique de Philadelphie, Marian fit la queue «A tour de rôle, les candidats arrivaient à un guichet où une fille répondait à leurs questions et leur remettait les formulaires à remplir. Lorsque vint mon tour, elle s’adressa, sans s’occuper de moi, à la personne qui suivait, et elle répéta ce même manège jusqu’au bout de la file. Me regardant froidement, elle me lança «Ici, nous n’acceptons de nègres» dit Marian ANDERSON dans ses mémoires. Les Noirs connaissaient les magasins où ils étaient servis les derniers, les taxis, les bus ou tramways refusant de refusant de s’arrêter, ainsi que les couchettes séparées dans les trains. Dans ces lois «Jim Crow», il y avait parfois des exceptions, des espaces fraternisation «Cependant, je ne puis ôter de mon cœur un regret : celui de n’avoir pas été à une bonne école de musique» écrit-elle.
Aussi, Marian ANDERSON commence par donner des concerts pour subvenir à ses besoins et participent à différents concours. En 1923, Marian participe d’abord à un concours, à Philadelphie organisé par la société philarmonique. A la fin de ses études, Marian ANDERSON remporte le premier prix d'un concours de chant organisé par le Philharmonique de New-York, et donne son premier concert professionnel le 23 avril 1924 au New York Town Hall. . L’accueil des critiques à ce premier concert est mitigé «Marian Anderson a l’air de chanter machinalement Brahms» écrit un journaliste. Le 26 août 1925, Marian en raison de sa voix merveilleuse, gagne un concours organisé par le «Philharmonic Orchestra» de New York, des concerts publics offerts par la Fondation Lewisohn. Plusieurs journaux relatent ce concert «Miss Anderson a fait une excellente impression. Elle a reçu de la nature une voix d’une étendue peu commune, colorée et dramatique» écrit le «New York Times». Marian prit William Billy KING comme accompagnateur et manageur. Forte de ce premier grand succès, Marian est invitée au Canada et sur la Côte Ouest ; le public est mixte, et les cachets conséquents, entre 400 et 500 dollars par concert. Marian change de manager et engage Arthur JUDSON (1881-1975), directeur artistique et fondateur de CBS ; les cachets montent à 700 dollars par soirée. A la suite de la mort de son grand-père et d’un petit héritage, Marian achète une maison. C’est à ce moment qu’elle fait la connaissance Orpheus FISHER, dit Razzle, son futur mari.
Marian avait un handicap, elle ne savait pas parler les langues étrangères notamment l’allemand et l’italien, sauf quelques rudiments de français. Aussi, Marian part en Europe afin de perfectionner son art, pour être au sommet de son art. En raison de l'ampleur exceptionnelle de sa voix de contralto, la profondeur et le velouté de son timbre, la ferveur de son expression musicale, ces talents lui ouvrent une carrière internationale. Marian a gagné une bourse de la Fondation «Julius Rosenwald» et de la «National Association o Negro Musicians», pour un séjour en Europe. Aussi, Marian ANDERSON entreprend une première tournée entre 1930-1932 avec des débuts en Grande-Bretagne au Wigmore Hall de Londres et un concert, en 1930 à Berlin, suivie d'une seconde entre 1933-1934 avec un concert à Paris en 1934, à la salle Gaveau, avec la compagnie de Vladimir HOROWITZ (1821-1989), pianiste, en en 1936, 1937 et en 1938, à la salle Pleyel «Marian Anderson interprète peut-être maintenant de façon trop «civilisée», car sa culture musicale et vocale s'est grandement approfondie, mais avec quel art et quelle séduction ! Cette voix chaude, aux troublants effluves, ce sens de la nuance, cette variété infinie de timbres font de Marian Anderson une artiste unique, justement admirée pour la souplesse et la diversité de ses dons. Chanter «la Vie antérieure» avec cette simplicité, cette ardeur concentrée, montrer dans Fauré (Au bord de l'Eau), une compréhension si fine, si limpide, si «française», puis se déchaîner dans des chants nègres, tout cela avec un égal bonheur, voilà ce qu'il ne nous est pas donné souvent d'applaudir» écrit Denise BERTRAND du «Ménestrel», journal de musique, édition du 18 novembre 1938. En effet, les critiques français sont particulièrement élogieux «Quant au talent, il est hors pair, Marian Anderson est une très grande cantatrice. Son vocable est incomparable. Rien ne manque ! Avec souplesse et sens artistiques extraordinaires, Marian Anderson interprètes des œuvres de caractères les plus divers» écrit «Artitisca» dans son édition du 7 avril 1936. Même «l’Action française», un journal pourtant d’extrême-droite, est particulièrement élogieuse, devant un tel talent incontesté : «La voix de Marian Anderson n’est plus à décrire. Tous les mélomanes parisiens connaissent maintenant son timbre, ses deux registres miraculeusement accolés de contralto profond et de soprano argentin. Marian Anderson, avec la gamme paradoxale de ses moyens, est, à bien des cantatrices émérites, ce qu’un orgue est un harmonium. Cette splendide étoffe vocale paraît avoir encore gagné en ampleur. Physiquement, l’artiste est en plein épanouissement de ses dons» écrit, le 20 novembre 1936, Lucien REBATET (1903-1972) écrivain et critique musical.
Marian ANDERSON ira en Israël, en Espagne et jusqu’en Russie (Leningrad, Moscou, Kiev, Kharkov, Odessa et Tiflis). Bien que confrontée à la ségrégation raciale dans son pays, ces tournées européennes ont conforté Marian ANDERSON dans son projet professionnel «J’eus le sentiment que je n’avais pas perdu mon temps en souhaitant de devenir artiste. J’eus le sentiment que mes ambitions pourraient se réaliser. Parce que mes auditoires scandinaves m’avaient acceptée sans réserve, je découvris que je n’avais plus rien à craindre des Lieder et je me mis à les chanter avec une liberté d’expression» écrit-elle. En 1935, Marian ANDERSON donne un récital au festival de Salzbourg et rencontre Arturo TOSCANINI. Le pianiste, Arthur RUBINSTEIN (1887-1982), lui ouvre les portes de la Scandinavie (Norvège, Danemark, Finlande). Ainsi, en 1933, Marian ANDERSON rencontre le compositeur finlandais Jean SIBELIUS (1865-1957). Ces tournées européennes sont un immense succès notamment à Oslo «la réaction du public norvégien venait à la fois, je pense, du fait qu’il a l’esprit large et qu’il est curieux. Entendre une artiste noire était là-bas quelque chose de curieux. Je me souviens qu’à la fin de la première partie de mon programme, il y eut un tonnerre d’applaudissements sans apparente raison et qu’avant l’entracte les manifestations d’enthousiasme étaient telles qu’il me fut presque impossible de quitter la scène» écrit Marian ANDERSON.
L’artiste enregistre ses premiers disques chez Pathé-Marconi. A son retour aux Etats-Unis, ses cachets deviennent plus importants ; elle prend aussi la décision de changer d’accompagnateur qui sera Kosti VEHANEN (1887-1957), pianiste et compositeur finlandais. Le deuxième concert au Town Hall du 30 décembre 1935, est un succès éclipsant le premier échec. «Il ne faisait aucun doute que j’avais désormais atteint un échelon plus élevé. Je chantais depuis longtemps, gravissant imperceptiblement une marche après l’autre» écrit-elle dans ses mémoires.
En 1944, au cours de son séjour, à New York, le général de GAULLE (1890-1970), chef de la France Libre, assiste à un concert en plein air, avec 20 000 personnes, et Marian ANDERSON a chanté la Marseillaise en son honneur, relate «La Nouvelle République» du 8 août 1944. Venue chanter le 20 janvier 1957, à la prise de fonctions du président Dwight EISENHOWER (1890-1969), Marian ANDERSON est également nommée déléguée à l'Assemblée des Nations unies. Marian ANDERSON entreprend, à ce titre, une tournée de bienfaisance en Inde et en Orient. Elle reçoit aussi des diplômes honorifiques des universités de New York et de Princeton, ainsi que des médailles des gouvernements de nombreux pays. Elle reçoit, le 6 décembre 1963, «l'American Freedom Medal» des mains du président Lyndon JOHNSON (1908-1973). Marian ANDERSON a été honorée de nombreuses autres distinctions : en 1978, du Kennedy Center, pour sa contribution au rayonnement de la culture américaine, en 1984, le Hall of Fame Award de la NACCP, en 1999, 2008 et 2009, le Grammy Hall of Fame, et en 1991, le Grammy Award pour l’ensemble de sa carrière. En 2005, les services postaux ont sorti un timbre à son effigie. Nous avons tous un don, ne serait-ce que celui d’être un ami sur qui on peut compter ; il suffit de l’identifier et de se donner les moyens de l’atteindre et de le perfectionner.
Marian ANDERSON, mariée, le 17 juillet 1943, à Orpheus Hodge FISHER (1900-1986), disparaît le 8 avril 1993, sans enfant, à Portland, dans l’Oregon, chez son neveu, James DEPRIEST (1936-2013). «Everyone has a gift for something, even if the gift is that of being a good friend. Young people should try and set a goal for themselves, and see that everything they has some relation to the ultimate attainment of that goal” dit Marian ANDERSON, dans son autobiographie.
Références bibliographiques
1 – Autobiographie
ANDERSON (Marian), Ma voix et ma vie (My Lord, what a Morning : An Autobiography), Urbana and Chicago, University of Illinois, University of University Press, 2002, 352 pages, et Paris Albin Michel, traduction de Max Dorian, 1961, 300 pages.
2 – Autres références
ARSNAULT (Raymond), The Sound of Freedom Marian Anderson, the Lincoln Memorial, and the Concert that Awakened America, New York, Bloomsbury Press; 2010, 310 pages ;
BROADWATER (Andrea), Marian Anderson : Singer and Humanitarian, Berkley Heights, J, Enslow Publishers, 2000, 128 pages ;
CARSON (Tracy), Marian Anderson : American Hero, Boston, Houghton Mifflin, 2005, 16 pages ;
FERRIS (Jeri), What I Have Had Was Singing : the Story of Marian Anderson, Minneapolis, Carolrhoda Books, 1994, 96 pages ;
FREEDMAN (Russell), The Voice that Challenged a Nation : Marian Anderson and the Struggle for Equal Rights, New York, Clarion Books, 2004, 114 pages ;
KEILER (Allan), Marian Anderson. A Singer’s Journey, University of Illinois Press, 2002, 447 pages ;
KRUESI (Margaret), Marian Anderson Papers, University of Pennsylvania, Kislak Center, 1998, 142 pages ;
MEADOWS (James), Marian Anderson. A Journey to Freedom, Chanhassen, MN the Child’s World, 2002, 40 pages ;
NEWMAN (Shirley, P.), Marian Anderson : Lady from Philadelphia, The Westminster Press, 175 pages ;
VEHANEN (Kosti), BARNETT (George, J.), Marian Anderson : A Portrait, New York, Whisttlesey House, London, Mc-Graw Hill Book Company, Inc, 1941, 270 pages.
Paris, le 12 février 2022, par Amadou Bal BA - http://baamadou.over-blog.fr/