7 juin 2020
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Pendant longtemps, et à défaut d’école et d’enseignants, notre village Danthiady était plongé dans l’ignorance et les ténèbres. En effet, la colonisation, d’une fausse prétention «civilisatrice», avait soigneusement évité l’éducation des masses paysannes, source d’éveil des consciences, et donc de contestation sérieuse, de cette domination, inacceptable, d’un peuple sur un autre peuple. A tout le moins, l’éducation d’abord initiée par des ordres catholiques accompagnant le colon, dans sa hiérarchisation des civilisations, a été suivie par l’émergence de l’école des fils de chefs, puis celle de commis indigènes, juste pour servir leurs intérêts. Le colonisateur avait pour grand souci, de reproduire et perpétuer sa domination, son système scolaire visant à nous enfermer dans la servitude permanente, en imposant son emprise, faite de soumission.
L’éducation est l’une des missions importantes de transmission, de passage au statut d’homme libre, pour penser, s’épanouir et préparer une société nouvelle, en vue de réinventer le monde. Aussi, dans notre village, Danthiady, l’école n’a été créée qu’en 1960, à l’indépendance, voilà bientôt 60 ans. Ma mère, comme mon père, n’ont jamais été à l’école. Les correspondances se faisaient, essentiellement en Peul, mais retranscrit en lettres arabe, l’Ajami. Quand quelqu’un recevait une lettre écrite en langue française, tout le village le savait ; le récipiendaire faisait le tour des maisons pour informer qu’il allait à Matam, à 20 km de Danthiady, en vue de prendre connaissance de son message, «Battaké». Le premier inspecteur venu à Danthiady, en 1964, était un Blanc ; c’est la première fois qu’on voyait un Européen. L’inspecteur, avec la chaleur, avait pris un coup de soleil et était tout rouge ; on croyait que c’était un diable ; on s’est sauvé. C’est le père de Abdoul DIALLO, venu avec des bonbons, qui nous a rassurés.
Depuis lors, Danthiady, «Horé Yolndé» situé à la lisière du NGuénar et du Ferloo, dont les habitants étaient considérés comme des broussards, a franchi une autre étape : celui du statut de Quartier Latin du Fouta-Toro. Je voudrais, avant tout, rendre un vibrant hommage aux illustres instituteurs qui se succédés à Danthiady. Le premier d’entre eux, était Oumar NIANE, décédé récemment à M’Bour. Les enseignants étaient confrontés à de nombreux défis. Il faut dire qu’initialement, les populations musulmanes étaient particulièrement hostiles à l’école française. «Si un parent amène son fils à l’école, celui-ci, au Jour du Jugement, prendra sa main, pour le conduire en Enfer» avait dit El Hadji Mamadou BA (1900-1981), de Madina Gounasse. Par ailleurs, nous les Peuls, nous sommes particulièrement attachés à notre langue et à notre culture. Par conséquent, pendant la récréation, les enseignants avaient mis en place un système de punition dit du «Symbole». Le dernier élève qui a parlait le Peul, et rapporté le «Symbole», à la reprise des cours, recevait une sévère correction. Les châtiments corporels étaient fréquents et traumatisants. Pourtant, le recours aux langues nationales aurait pu venir au secours de la pédagogie, notamment l’explication des concepts abstraits, pour des enfants qui n’ont aucune base en français. Les enseignants étaient également confrontés à des méthodes pédagogiques infantilisantes et absurdes, comme le syllabaire : «Toto tape Nama, Nama tape toto». De retour à la maison, sans livres et sans soutien scolaire de nos parents, il fallait aller chercher du bois mort pour la cuisine, et en fin de journée, isoler les veaux à l’étable, sinon point de lait pour le couscous du dîner.
En dépit de tous ces obstacles, les enseignants pionniers à Danthiady étaient armés plus que d’une espérance, mais d’une foi immense en l’avenir des enfants de notre village. «Aime l’école, elle t’ouvre toutes les portes» nous disait notre maître Abdoulaye NIANG, un géant au cœur en or. Le plus petit de la classe, il me ramenait parfois sur ses épaules à la maison ; à l’époque, on habitait dans la concession des N’DIAYE. Ces enseignants de la première génération, avec des méthodes parfois brutales, avaient pour souci également d’émanciper. L’enfant ne peut grandir et se libérer de certaines pesanteurs qu’à la découverte de l’altérité de l’école. Leur grand mérite a été d’éveiller, d’instruire ; je rends un hommage à eux et la moisson a été bonne. En effet, initialement, il n’y avait qu’une seule classe en banco à Danthiady, maintenant Danthiady compte une école maternelle, deux écoles élémentaires, une école franco-arabe, un collège et un lycée. Désormais, et pour l’essentiel, le personnel enseignant est de Danthiady, le Ministre Kalidou DIALLO, y est pour quelque chose. Le premier enseignant originaire de Danthiady, à ma connaissance a été Kaïly TALL. L’actuel directeur de l’école de Danthiady, est Balla SYLLA. Le plus extraordinaire dans cela, c’est la place des femmes dans ce personnel enseignant (Aïssata Demba DIALLO, Fatimata BAL, Coumba Silèye DIALLO, Dieynaba BAL, Dado SALL, Fatim BA, Aminata BA, Faty BA, Boudy BA, etc.). Je me souviens, qu’en 1968, Aïssata Bassirou SALL et Raky Kalidou AW avaient obtenu, du premier coup leur certificat d’études primaires élémentaires. Mais nos Anciens avaient refusé qu’elles continuent les études en fréquentant le lycée, à l’époque situé, uniquement, pour notre région à Saint-Louis. En raison de cet esprit frileux et conservateur, ma petite sœur, Haby BAL, a dû interrompre ses études.
Il est indubitable, que de nos jours, Danthiady, et en dépit de la grave crise scolaire au Sénégal, est indubitablement, devenu le Quartier Latin du Fouta-Toro. Par conséquent, il n’a pas été facile de recenser tous les enseignants originaires de Danthiady, si nombreux, et maintenant éparpillés à travers tout le Sénégal, et dans le monde. Le symbole de ce statut flatteur de Quartier Latin, ce sont les nombreux universitaires de Danthiady : M. Kalidou DIALLO, historien à l’UCAD et Ministre de l’Education nationale, Amadou BA au Canada, Abdoulaye Baïla N’DIAYE, U.C.A.D. et Directeur de l’Ifan, Harouna BAL dit Chita à Thiès. Je signale aussi Abdourahmane BA, titulaire d'un doctorat et Amadou Harouna N’DIAYE, doctorant à Thiès.
Je dirai que l’enseignant, ce n’est pas forcément le diplômé ; c’est une question de transmission de connaissance, pour nous faire grandir et revendiquer le droit de rester nous-mêmes, par un esprit et une distance critique. Nous avons toujours à apprendre des autres, et nous devons rester, en raison de l’immensité des savoirs, modestes et être curieux de tout. De ce point de vue, nous devons construire une chaîne de transmission ; nous avons apprendre à mieux nous connaître, pour être utile à nous-mêmes, au Sénégal et au pays où nous vivons. Nous devons toujours viser, chaque un peu plus, l’excellence et nous éloigner de la médiocrité.
Nous comptons sur vous la génération actuelle d’enseignants pour perpétuer cette saga des Danthiadynabé, dans la bonne direction.
Paris, le 6 juin 2020 par Amadou Bal BA - http://baamadou.over-blog.fr/